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Vallée du silicium

Analyse de livre

À l’heure où nous commençons à mesurer l’ampleur des dégâts causés par l’emprise des réseaux sociaux sur la santé mentale des enfants et des adolescents, Alain Damasio nous propose un précieux éclairage pour appréhender le phénomène, et nous explique au passage que les adultes sont également concernés.

Damasio Alain, Vallée du silicium, Paris : Seuil (Albertine), avril 2024, 336 p.

Auteur de science-fiction bien connu, il a séjourné pendant plusieurs semaines à San Francisco, dans la villa Albertine (sorte de villa Médicis bis, propriété de l’État français), et a profité de ce séjour pour mener une enquête dans le monde où s’inventent les algorithmes et les applications chargés de gouverner nos esprits. La qualité du livre tient à la fois aux rencontres que l’auteur a réussi à se ménager « au cœur du réacteur », à sa sensibilité d’écrivain, à sa capacité à penser les interactions entre les outils techniques et les phénomènes sociétaux, et à son sens de la formule.

Quand il écrit « La matérialité du monde est une nostalgie désormais », il donne la dimension de la mutation anthropologique dans laquelle les apprentis sorciers de la Silicon Valley sont en train de nous embarquer. Quand il parle de nos « technococons », il fait toucher du doigt la solidité des bulles virtuelles dans lesquelles ceux-ci cherchent à nous enfermer. Les fils de la soie numérique sont encore plus fins, solides et invisibles que ceux de la soie naturelle.

Une partie des réalités que décrit Alain Damasio a, certes, été anticipée par d’autres auteurs. Philippe Vion-Dury parlait déjà, en 2016, de « nouvelle servitude volontaire » à propos de notre soumission passive au numérique [1]. Et Bruno Latour théorisait, en 2017, la lutte d’influence qui est désormais engagée entre le monde réel et le monde virtuel [2]. Mais ces antériorités n’enlèvent rien à la force de Vallée du silicium, bien au contraire.

Alain Damasio fait plus que confirmer les intuitions de ses prédécesseurs en « siliconologie ». Il les affine et leur donne, par le choix d’exemples pertinents, la force de l’évidence. Ainsi, explique-t-il, le danger n’est pas tant la confrontation entre les mondes réel et virtuel, que leur hybridation. Ne sachant plus très bien où est la limite entre l’un et l’autre monde, nous nous laissons plus facilement coloniser par le second. Un bel exemple de cette hybridation sournoise est le selfie, qui est en train de devenir le ...