Revue

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Underground Empire

How America Weaponized the World Economy

Analyse de livre

Cet ouvrage a été coécrit par Henry Farrell et Abraham Newman, deux universitaires spécialisés dans les relations internationales, l’économie et les technologies. Il s’attache à montrer comment « l’empire souterrain » (Underground Empire) américain, entendu comme la maîtrise par le gouvernement des infrastructures numériques et financières mondiales, s’est construit puis a progressivement été utilisé à des fins de puissance contre les ennemis et les concurrents des États-Unis.

Farrell Henry et Newman Abraham, Underground Empire: How America Weaponized the World Economy, New York : Henry Holt & Company, septembre 2023, 288 p.

Le premier chapitre expose la genèse du futur empire souterrain autour de ses deux composantes principales : la finance et le numérique. Paradoxalement, à l’origine, la finance en cours de mondialisation dès les années 1960 était conçue par ses initiateurs comme un moyen d’échapper au contrôle gouvernemental et à sa centralisation. C’était le rêve d’un marché mondial dérégulé et débarrassé de la tutelle étatique. De même, les débuts des technologies numériques, qui donneront naissance à Internet, avaient pour ambition de fonder un monde d’échanges d’informations libres de tout contrôle gouvernemental. Or, en tentant de s’affranchir de l’État, le processus a abouti à une centralisation progressive de la finance et des technologies numériques (notamment les infrastructures stratégiques comme les serveurs et les nœuds des réseaux de fibre optique) entre les mains de quelques acteurs. Ce qui n’a pas échappé au gouvernement américain. Dans le domaine de la finance, un instrument comme SWIFT (la Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication) a renforcé la position dominante du dollar US dans les échanges mondiaux. Et c’est presque par accident, dans le cadre des régimes de sanctions imposés par la Maison Blanche aux États hostiles et organisations criminelles ou terroristes, que les agences gouvernementales américaines (Trésor, Justice, Commerce) ont découvert le formidable levier de puissance que cela leur conférait.

Le chapitre suivant explique comment les services de renseignement américains, et singulièrement la National Security Agency (NSA), se sont emparés du sujet, avant tout dans le cadre de la lutte contre le terrorisme suite aux attentats du 11 septembre 2001 et à la législation subséquente tel le Patriot Act. Ce dernier permettait aux services de sécurité d’imposer aux entreprises du numérique ainsi qu’au secteur financier de fournir des informations pour lutter contre le terrorisme. Grâce à une cartographie ayant permis l’identification des goulots d’étranglement comme les serveurs, en grande majorité basés aux États-Unis, les agences ont étendu leur pouvoir de surveillance bien au-delà des frontières américaines. En effet, tout acteur situé en dehors du territoire américain n’était pas protégé par les lois de protection des données. Le département du Trésor, chargé de la lutte contre le financement du terrorisme, est ainsi devenu, presque par accident, un pivot du renseignement américain, ayant par exemple accès à SWIFT. Cet accès a ouvert aux autorités américaines la possibilité de couper une entité commerciale, voire un pays, du système d’échange en dollars US qui domine largement le commerce international. C’est ainsi que la banque française BNP Paribas a été condamnée en 2014 à une amende de neuf milliards de dollars US pour avoir contourné le régime de sanctions américaines, notamment à l’égard de l’Iran. Ce pays fut d’ailleurs mis à l’écart de SWIFT afin de faire pression dans le cadre des négociations sur le prog...

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