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Technopolitique

Comment la technologie fait de nous des soldats

Analyse de livre

Alors que le numérique imprègne de plus en plus nos existences, il paraît nécessaire de comprendre ses implications sur notre conception du monde et les nouvelles formes de pouvoir qui se dessinent. C’est l’ambition d’Asma Mhalla dans son nouvel ouvrage, Technopolitique. Spécialiste des enjeux politiques et géopolitiques de la tech, elle souhaite éclairer les « complexités et ambiguïtés du système technopolitique » en construisant un cadre d’analyse spécifique (p. 27). Ce faisant, elle propose de réfléchir à la manière de « réaffirmer le modèle démocratique « avec » la technologie et non pas « contre » elle (p. 26).

Mhalla Asma, Technopolitique. Comment la technologie fait de nous des soldats, Paris : Seuil, février 2024, 288 p.

Les technologies sont désormais caractérisées par « l’hypervitesse et la symbiose » (p. 29). En effet, elles introduisent une rupture dans notre rapport au temps, mais aussi dans nos représentations politiques et notre conception du monde. Elles s’inscrivent dans l’émergence d’un phénomène global, que l’autrice qualifie de « technologie totale » : « une ambition politique de contrôle, de pouvoir et de puissance, mise en musique à la fois par les États (BigState) et les géants technologiques (BigTech) » (p. 30). Elles reposent sur une infrastructure interdépendante et sont conçues pour créer des sociétés de masses personnalisées. Il est difficile d’en diluer le pouvoir qui est souvent l’apanage d’acteurs privés.

Surtout, elles ont aujourd’hui un double visage : à la fois ludiques, marchandes mais aussi sécuritaires, policières et militaires. C’est l’une des expressions du projet de « technologie totale, [qui] englobe, encapsule le monde » dans toutes ses dimensions (p. 35). Il est dépourvu d’idéologie et l’objectif de ceux qui le portent n’est pas d’arbitrer les idées mais bien d’en centraliser le contrôle. Difficile à caractériser, il se fonde sur la production en masse de contenus, d’idées, sans hiérarchisation entre eux, personnalisés pour la masse. « Tout se vaut. » La chercheuse rappelle avec Hannah Arendt que cette massification et la perte du commun qu’elle entraîne affectent négativement les sentiments de responsabilité politique et civile, et à terme la démocratie (p. 50). Par ailleurs, elle note que la relation d’interdépendance dominant-dominé pensée par Marx dévie vers une nouvelle relation d’interdépendance de « surveillant-surveillé [1] ». Cependant, l’extractivisme de données, la création de richesse à partir de rien et le capitalisme libéral restent l’ossature du projet de technologie totale. On assiste donc à la mise en données du monde, à la création d’un « data monde », où des mécanismes d’enfermements algorithmiques sont à l’œuvre. On notera que les algorithmes ne sont pas neutres mais bien pensés par des hommes, bien qu’opaques pour les utilisateurs finaux. De ce chaos informationnel émerge une démocratie de la symbiose (et non plus démocratie de masse). Elle associe le vrai au faux, le privé au public, le global au micro-individuel à travers ...