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Scénario / L’Union nordique, acteur central de l’Union européenne

La chronique prospective de Jean Haëntjens

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Dans cette chronique prospective, Jean Haëntjens propose un scénario d’union entre les pays d’Europe du Nord, leur permettant de prendre le leadership sur le Vieux Continent.

À partir de 2025, les pays scandinaves et la Finlande, fédérés dans une Union nordique, décident de se doter d’une diplomatie et d’une armée communes et parviennent à jouer un rôle central sur la scène européenne. L’un des éléments déclencheurs a été la montée de la menace soviétique révélée par la guerre en Ukraine. En faisant basculer la Finlande et la Suède dans l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), cette menace a rendu possible un rapprochement des pays scandinaves et des pays baltes sur les plans économique, diplomatique et militaire.

En fait, ce rapprochement était déjà préparé par une longue complicité — historique, économique, culturelle et écologique — entre les trois royaumes scandinaves et la Finlande.

Les raisons objectives du rapprochement

La menace soviétique a révélé la fragilité — voire l’absurdité — que constituait le morcellement politique de la Scandinavie, alors que le Danemark, la Norvège et la Suède partagent la même culture, les mêmes intérêts, les mêmes valeurs et presque la même langue. Ces pays, longtemps négligés par les leaders historiques de l’Europe (la France et l’Allemagne) en raison de leur faible poids démographique, avaient déjà pris conscience de leur exemplarité et de leur influence dans les domaines économique, écologique, éducatif et culturel.

Ils disposent des plus importants produits intérieurs bruts (PIB) par habitant d’Europe (61 000 à 89 000 dollars US en 2021), loin devant l’Allemagne (51 000 dollars US) et la France (44 000 dollars US). Leurs dettes publiques (de 39 % à 44 % du PIB) comptent parmi les plus faibles des pays d’Europe de l’Ouest. Les taux de chômage sont faibles (4 % au Danemark et en Norvège, 8 % en Suède).

Leurs économies sont positionnées sur des secteurs d’avenir (les télécoms, le numérique, le médical, les énergies renouvelables) tout en gardant un fort ancrage dans les ressources stratégiques (agriculture, aquaculture). Au même moment, le modèle allemand s’avère cruellement dépendant de l’automobile et des énergies fossiles, et le modèle français, handicapé par l’effacement de son industrie, n’en finit pas de creuser son déficit extérieur et sa dette.

La réussite de ces pays sur le plan social est également exemplaire puisque leurs indices d’inégalité (coefficient de Gini) figurent parmi les plus faibles au monde (entre 0,25 et 0,27, contre 0,58 aux États-Unis [1]). L’égalité entre hommes et femmes est particulièrement affirmée, et se traduit par une forte présence des femmes aux postes de responsabilités.

Ces pays se positionnent également en tête, avec la Finlande, dans les classements comparatifs des systèmes éducatifs. La réussite de leur modèle scolaire n’est pas seulement technique et scientifique, elle est aussi civique et morale. Le Danemark, la Suède, la Norvège et la Finlande se classent parmi les six pays les moins corrompus de la planète, aux côtés de la Nouvelle-Zélande et de Singapour (selon le classement de l’organisation Transparency International).

Ces pays sont également très en avance en matière de la transition écologique, puisqu’ils assurent entre 56 % et 89 % de leur production d’électricité par des sources renouvelables. La Norvège est le pays le plus avancé au monde en matière de motorisation électrique (la moitié des ventes de voitures neuves). Et à Copenhague, le vélo assure plus de 40 % des déplacements quotidiens.

À ces facteurs objectivement positifs, s’ajoute une forte confiance des habitants de ces pays en eux-mêmes et en leur avenir. Ils se considèrent parmi les plus heureux du monde (avec des indices de « bonheur par habitant » évalués entre 8 et 8,5 contre 7 à 7,4 pour la France et l’Allemagne) [2] .

Pour faire valoir leurs idées et leurs valeurs, ces pays disposent en outre d’un soft power sans commune mesure avec leur poids démographique (27 millions d’habitants cumulés dans l’ensemble Suède, Danemark, Norvège et Finlande).

Les prix Nobel, créés en 1901 par Alfred Nobel, restent, 120 ans plus tard, les plus hautes récompenses académiques et politiques décernées à des personnalités intellectuelles ou morales. Aux cinq prix Nobel de médecine, de physique, de chimie, de littérature et de la paix, s’ajoute le prix (dit Nobel) d’économie attribué par la Banque de Suède. Les lauréats du prix Nobel de la paix sont choisis par un comité nommé par le Parlement norvégien, alors que les lauréats des autres prix sont sélectionnés par l’Institution académique suédoise.

Depuis 2009, le secrétaire général de l’OTAN est scandinave : au Danois Anders Fogh Rasmussen (en fonction de 2009 à 2014) a succédé le Norvégien Jens Stoltenberg, toujours en poste. Ce tropisme scandinave à la tête de l’OTAN traduit une indéniable confiance de la part des États-Unis. Au sein de la Commission européenne, les Scandinaves disposent, avec la vice-présidente danoise Margrethe Vestager, célèbre pour avoir tenté d’infliger des amendes records aux géants américains du numérique, d’une représentante active et respectée.

En somme, les pays scandinaves cochent toutes les cases de la réussite, sauf une : leur poids démographique. Depuis quelques années, ils réalisent qu’en se regroupant, puis en fédérant les pays baltes autour du noyau scandinave, ils pourraient constituer une force ayant un poids économique presque équivalent à celui de la France, mais avec une capacité d’influence intacte et une image à l’international jugée globalement très positive. Une telle union ne tomberait pas du ciel. Elle s’inscrirait dans une très longue tradition qui n’attend qu’un signal politique pour être réactivée.

L’Union nordique, une très vieille histoire

De 1397 à 1434, les trois pays scandinaves et la Finlande ont été réunis dans l’Union de Kalmar, et gouvernés par une même souveraine (Marguerite Ire de Danemark, qui était également devenue reine de Suède et de Norvège) puis par un même souverain (son neveu Éric de Poméranie). Par la suite, la Norvège est restée pendant plusieurs siècles sous dépendance du Danemark, avant de passer, en 1814, sous celle de la Suède, et ce jusqu’en 1905. La Finlande a elle aussi été longtemps sous le contrôle de la Suède avant de passer sous celui de la Russie. Ces pays ont constitué une Union monétaire entre 1873 et 1905.

Drapeau de l’Union de Kalmar

La coopération entre pays nordiques est, depuis 1952, formalisée dans un Conseil nordique, constitué de 87 membres représentant les cinq pays (Danemark, Finlande, Islande, Norvège, Suède). Depuis 1971, un Conseil nordique des ministres fournit un cadre à la coopération intergouvernementale. Il est constitué de 11 conseils ayant chacun un thème particulier.

La création de l’Union nordique

Durant l’été 2024, la pathétique « finale des vieillards », qui oppose deux octogénaires candidats à la présidence des États-Unis d’Amérique, achève de convaincre les Européens qu’ils ne doivent plus désormais compter que sur eux-mêmes pour assurer leur sécurité face à une Russie de plus en plus agressive. La prise de conscience est particulièrement forte dans les pays scandinaves et baltiques qui ont des frontières communes avec la Russie (cas de la Norvège, de la Suède et de la Finlande).

Dès janvier 2025, les cinq États réunis dans le Conseil nordique décident de transformer ce conseil en une Union nordique dotée d’un budget et de responsabilités propres. La nouvelle Union est symboliquement scellée à Kalmar, petite ville du sud-est de la Suède, à l’endroit même où, en 1397, a été créée une première union scandinave, sous l’égide de Marguerite Ire de Danemark. Cette Union se donne pour mission d’unir les forces diplomatiques, militaires, économiques et stratégiques des pays membres.

Les représentations diplomatiques sont harmonisées et éventuellement regroupées. Au fronton des ambassades nordiques, flotte, à côté du drapeau national, le drapeau à croix rouge sur fond jaune de l’Union de Kalmar. À Paris, en haut des Champs-Élysées, la maison du Danemark, rebaptisée maison de l’Union nordique, devient un haut lieu du rayonnement culturel scandinave.

Une première série d’accords concerne la question de l’énergie : les cinq pays s’entendant pour assurer collectivement leur indépendance énergétique en organisant la complémentarité de leurs sources renouvelables (hydroélectricité, éolien, biomasse) et fossiles. Leur autosuffisance alimentaire sera également assurée par les apports complémentaires des pays agricoles et maritimes.

Le Fonds souverain norvégien, premier fonds souverain du monde (avec 1 330 milliards de dollars US d’actifs et 130 milliards de bénéfice au premier semestre 2023), est missionné pour reprendre le contrôle des industries stratégiques. Il reprend la majorité du capital des groupes automobiles suédois Volvo et Saab, passés sous contrôle de capitaux chinois et américains. Le nouveau groupe a pour ambition de devenir un leader mondial dans la construction de véhicules électriques.

L’Union nordique joue à fond de son soft power et de son image pour incarner, sur la scène internationale, un Occident non colonial, non impérialiste, propre et écologique. Elle brûle la politesse à l’Australie pour organiser, en 2026, la 31e conférence des parties à la Convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique (COP31) à Göteborg. À cette occasion, les éoliennes danoises Vestas, les automobiles électriques Volvo, les avions à hydrogène Saab et les cargos à assistance vélique de l’armateur norvégien Maersk sont mis en avant pour expliquer au monde qu’en Scandinavie, on ne se contente pas de promettre : on fabrique et on agit. Les pays de l’Union annoncent dans la foulée la création d’un septième prix Nobel, consacré à l’écologie, dont le comité de sélection sera piloté par les Danois.

Une dernière série de mesures concerne la mise sous un commandement commun des forces militaires suédoises, danoises, norvégiennes et finlandaises. L’expérience acquise par les deux secrétaires généraux scandinaves qui ont successivement dirigé l’OTAN depuis 2009 permet de constituer rapidement une force opérationnelle.

La création de cette force est accueillie favorablement par la plupart des pays occidentaux. Les États-Unis se réjouissent de voir émerger, au sein de l’OTAN, une force militaire qu’ils considèrent comme plus fiable que celles de la France et de l’Allemagne. Les pays d’Europe de l’Est, qui ont apprécié le soutien des Scandinaves à l’Ukraine, se sentent particulièrement en phase avec eux. La France, en désaccord total avec l’Allemagne sur les modalités de construction d’une défense européenne, est heureuse de pouvoir disposer d’un nouvel allié de poids.

Bientôt l’idée d’aider discrètement cette nouvelle force nordique à se doter de l’arme nucléaire fait son chemin chez les stratèges de l’armée française. Ceux-ci ont en effet évalué depuis longtemps le risque stratégique que constitue, pour la France, le fait d’être le seul pays européen à disposer, en pleine autonomie, de l’arme de dissuasion massive. Une note classée secret défense interroge : « Que ferait une Marine Le Pen, devenue cheffe des armées, si les chars russes envahissaient la Finlande ? Et que ferait le patriarche occupant la Maison Blanche ? » La dissuasion, explique au Président le général en chef des armées, est d’autant plus efficace qu’elle est partagée, que l’attaquant ne sait pas d’où la riposte va venir. Et les Scandinaves sont, à l’évidence, le meilleur choix pour partager cette lourde responsabilité.

Dès 2026, l’Union nordique annonce qu’elle est prête à ouvrir ses portes aux pays de la mer Baltique répondant à certain de nombre de critères de respectabilité. Bientôt l’Estonie, la Lituanie et l’Écosse, qui a décidé de sortir du Royaume-Uni, viennent frapper à la porte. D’anciennes cités-États de la Hanse, dont Hambourg et Brême, sont acceptées comme membres associés.

Au sein de l’Union européenne, le bloc nordique, appuyé par ses affidés, devient vite un acteur incontournable. Le temps où le couple franco-allemand pouvait prétendre diriger l’Union est définitivement révolu. Le Premier ministre de l’Union nordique est bientôt reçu à Versailles en grande pompe. C’est désormais à Göteborg, siège de l’Union nordique, que s’arbitrent les désaccords entre Paris et Berlin, et que le destin de l’Europe se décide. En 2027, la combative Margrethe Vestager est nommée présidente de la Commission européenne.

  1. L’inégalité est d’autant plus forte que l’indice de Gini (compris entre 0 et 1) est élevé ; la valeur 0 correspond à une situation d’égalité parfaite (NDLR).

  2. Source : European Social Survey, citée dans Cohen Daniel et Senik Claudia (sous la dir. de), Les Français et l’argent, Paris : Albin Michel, 2021.

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