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Refonder l’École, un mythe ?

Cet article fait partie de la revue Futuribles n° 388, septembre 2012

La rentrée des classes, en France, est imminente et les quatre groupes de travail créés dans le cadre de la consultation lancée par le gouvernement devraient, d’ici fin septembre, remettre leurs conclusions afin de soumettre au Parlement une nouvelle loi d’orientation et de programmation sur l’École.
Car en dépit du nombre impressionnant de grands débats déjà lancés sur le sujet depuis des années, les faits sont là et le constat préoccupant. Ainsi, pour ne citer que celui-là, d’après le Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA) développé par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), qui tous les trois ans mène une enquête sur les compétences des élèves en lecture, en mathématiques et en science, auprès d’un échantillon représentatif d’adolescents de 15 ans, dans près de 70 pays, l’École française ne va pas bien et ses performances se dégradent. Bien que la France consacre 6 % de son produit intérieur brut à l’éducation, ses performances sont très en deçà de celles de la Corée du Sud et de la Finlande, et légèrement en dessous de la moyenne des pays de l’OCDE. En outre, cette dégradation s’accompagne d’une progression du poids de l’origine sociale sur les performances scolaires.


Je ne m’étendrai pas davantage sur ce constat affligeant. Préférant considérer cette consultation nationale comme une chance à saisir pour repenser l’École, le contenu des enseignements et les modalités d’apprentissage, je m’efforcerai ici de résumer les principales conclusions de l’étude menée par Futuribles International sur « l’enseignement et la formation à l’horizon 2025 (1) ».
L’étude commence par reprendre le jugement sévère mais en grande partie fondé de Ken Robinson (2), qui considère que nos systèmes d’éducation ont encore pour vocation de former des travailleurs dociles et productifs d’un monde industriel en voie de disparition (3). Les modes d’apprentissage seraient désuets et tellement en décalage avec le monde réel que les jeunes souffriraient de troubles de l’attention et du comportement. En bref, ceux-ci ne sont absolument pas formés pour devenir les véritables agents de changement dont nous avons besoin.


Comment sortir de cette impasse ? Quatre pistes tirées de notre étude me semblent pouvoir y contribuer.
Le système éducatif français, sous couvert d’un même enseignement pour tous (au moins jusqu’à 16 ans) s’avère très élitiste puisqu’il ne corrige plus les inégalités résultant de l’origine sociale des jeunes. L’idéal républicain voulait qu’offrir à tous le même enseignement permette d’atteindre les mêmes résultats. Le poids persistant de l’origine sociale sur les parcours scolaires invite
à sérieusement le réinterroger, notamment à la lumière des expériences d’un pays comme la Finlande, où les élèves en difficulté sont beaucoup plus aidés que les autres et peuvent bénéficier de parcours sur mesure. Ceci s’appuie sur le constat qu’au-delà même de leur origine sociale, les jeunes, comme du reste les adultes, n’apprennent pas tous au même rythme ni de la même façon.


D’où la nécessité de reconsidérer le rôle des enseignants, hérité d’une époque révolue durant laquelle ils étaient quasiment les seuls détenteurs du savoir : d’abord parce que les savoirs semblent évoluer plus vite qu’auparavant, ensuite parce qu’ils sont plus aisément accessibles. Mais s’il est aujourd’hui possible aux élèves d’accéder à distance aux meilleurs experts et pédagogues, les enseignants ont une nouvelle responsabilité à assumer : celle d’apprendre à apprendre et à faire preuve de discernement, de donner des clefs aux élèves pour faire bon usage des nouveaux supports, d’apprendre donc aux élèves à s’orienter dans les informations disponibles et dans leur parcours de connaissance. Et il est bien sûr essentiel que ces nouvelles compétences des enseignants s’appuient sur des savoirs disciplinaires solides.


L’apprentissage, en troisième lieu, doit être davantage valorisé, d’autant que les compétences revêtent désormais plus d’importance que les savoirs. Les travaux pratiques certes existent déjà en physique et chimie, par exemple. Pourquoi ne pas les étendre aux autres disciplines ? L’apprentissage par l’expérience, par la résolution de problèmes faisant appel à des savoirs relevant de différents domaines, s’avère souvent plus efficace que l’accumulation de savoirs théoriques. Il s’agit ici de développer davantage des pédagogies par projet susceptibles d’accroître la motivation des élèves et de permettre l’acquisition de compétences transversales (comme, peut-être, la prospective, enseignée dans nombre de lycées aux États-Unis).


Enfin, il s’agit de favoriser l’apprentissage tout au long de la vie. L’idée peut paraître évidente mais toutes les populations, quel que soit leur âge, sont loin d’avoir un accès identique à la formation, indispensable aux citoyens comme aux travailleurs dans une période de mutation rapide. Or, il devient de plus en plus nécessaire de pouvoir apprendre à tout âge. Cela renvoie à une idée que j’ai souvent évoquée dans nos colonnes : celle de rompre avec un cycle de vie découpé en trois phases étanches, celle des études, celle du travail et celle de la retraite.


Trop de cloisons entre les disciplines, trop d’écart entre le savoir académique et le monde réel, trop de théorie et pas assez de pratique : le processus d’éducation et de formation doit être repensé et la classe, elle-même, capable de s’affranchir de la règle des trois unités du théâtre classique (temps, lieu et action). Tout cela peut paraître évident, relève peut-être plus du bon sens que du génie. Mais tout cela reste à faire et l’expérience nous enseigne que les inerties sont grandes au sein de l’Éducation nationale comme dans la société tout entière.


Nombreuses sont les études qui, de longue date, ont mis en évidence certaines de ces idées. Nombreux sont aujourd’hui les pays qui ont su mieux que la France s’adapter au monde moderne, développer l’apprentissage, faire bon usage des technologies nouvelles, tirer davantage profit du progrès des connaissances, innover, entreprendre… La France, en dépit de sa résistance bien connue au changement, en est-elle encore capable ? Une loi à elle seule ne saurait le décréter. À chacun d’entre nous d’en être acteur.

1. Tous les documents sont accessibles sur le site Internet de Futuribles http://www.futuribles.com. Cette étude propose notamment une dizaine de notes thématiques et plusieurs monographies consacrées à différents pays, ainsi qu’un catalogue de 85 innovations.
2. Un théoricien de la créativité.
3. Une critique que j’énonçais déjà en 1979, dans : « Quelle éducation pour demain ? », Futuribles, n° 27, octobre 1979, p. 40-50.

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