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Quelle stratégie postcarbone ?

Cet article fait partie de la revue Futuribles n° 455, juillet-août 2023

Le rapport de Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz sur « les incidences économiques de l’action pour le climat » en France, publié par France Stratégie le 22 mai dernier, assez largement inspiré du travail pionnier de Nicholas Stern (The Stern Review: The Economics of Climate Change, Londres : Her Majesty Treasury, 2006), comporte deux enseignements majeurs. D’abord le coût économique de l’inaction serait à long terme bien supérieur à celui des actions qu’il conviendrait d’entreprendre ; ensuite, « si la décarbonation de l’économie française peut dans un premier temps ralentir la croissance, il est possible qu’à long terme, elle puisse apporter des voies nouvelles ». Sacrifier le court terme au long terme constitue donc un de ses leitmotive, mais le rapport reconnaît en même temps que la France devra faire en 10 ans ce qu’elle a omis de faire en 30 ans et, donc, que la prochaine décennie sera celle « de toutes les difficultés », notamment sur un plan politique vu le rôle primordial imparti aux finances publiques.

Des difficultés liées notamment aux incertitudes géopolitiques multiples et à la nouvelle géopolitique de l’énergie, affirment dans ce numéro Patrick Criqui et Emmanuel Hache, qui soulignent cependant combien il est nécessaire de « garder le cap de la transition énergie-climat ». Une transition, écrivent-ils, qui ne pourra être réussie sans changements très significatifs, dans les comportements comme dans les institutions, ni sans innovations technologiques radicales ou en rupture, qui elles-mêmes nous renvoient à la géopolitique des matières premières si essentielles aux nouvelles technologies. Ils montrent en substance combien la neutralité carbone exige de reconstruire le système productif et soulignent l’ampleur des changements à opérer, à l’échelle individuelle et collective. Mais ils n’en démordent pas et, comme le rapport de France Stratégie, soulignent l’impératif de la transition écologique.

François Grosse, dans son article sur le défi de l’économie circulaire, aborde un sujet un peu différent mais complémentaire : celui de l’accélération, sous l’effet de la croissance des consommations matérielles, des consommations de matières premières non renouvelables qui, au rythme actuel, sont en voie d’épuisement. L’auteur montre d’abord que le recyclage ne peut y pallier, y compris faute d’un volume suffisant de déchets puisque « nous sommes dans une société non pas du jetable mais de l’accumulation », et que la croissance de la demande est trop importante pour pouvoir être satisfaite par des matériaux recyclés. Il faudrait donc, affirme-t-il, développer une économie circulaire dont il explique les conditions de mise en œuvre.

Deux autres exemples illustrent les enjeux auxquels nous sommes confrontés : la gestion durable des sols, aussi nécessaire que celle de l’eau et de l’air, et l’urbanisation. Cessons, nous dit Jean Haëntjens, de considérer les sols uniquement à l’aune de leurs surfaces ; ce sont des milieux vivants : leurs propriétés particulières sont également importantes, inégalement propices à toutes les activités et plus ou moins sujettes à des conflits d’usage. La loi Climat et résilience (2021), en France, a fixé l’objectif de « zéro artificialisation nette » (ZAN) et, surtout, que toute artificialisation (celle-ci résultant notamment de l’étalement urbain) soit compensée par la renaturation d’espaces urbanisés ou artificialisés. Mais qu’il s’agisse de réintégrer la nature en ville, ou de mettre les villes à la campagne, cela aura des conséquences majeures sur l’habitat et le logement, et heurtera le désir d’habiter des Français (le rêve d’une maison individuelle avec son coin de jardin) et le développement du télétravail… Comment, alors qu’une crise du logement est évidente, contenir l’étalement urbain ? Julien Damon, faisant écho au livre La Ville stationnaire (présenté p. 65), souligne le besoin, non pas de construire de nouveaux logements (on construit trop, pas au bon endroit ni au bon format), mais de rénover, réhabiliter, recycler, afin de transformer l’existant pour optimiser les espaces.

Ces divers articles ne s’érigeraient-ils pas contre le fait que, face au défi de la transition écologique, il y aurait trop de règlements et d’injonctions contradictoires, et pas assez de vision stratégique ? Tournons-nous donc vers la Chine qui entend, au regard du modèle occidental, affirmer son leadership mondial et incarner un modèle permettant « au peuple entier d’être prospère, de restaurer l’harmonie entre l’homme et la nature et de promouvoir un développement pacifique ». L’article de Benoît Vermander nous explique ce que « la modernisation socialiste chinoise » entend offrir comme alternative au modèle dominant des États-Unis, quelles sont ses valeurs fondées sur son histoire multiséculaire, et leur instrumentalisation au service de finalités de nature à conforter son influence et à séduire les pays en panne d’avenir. Il n’est pas certain que tous adhèrent à cette vision. Espérons en revanche que ces articles contribueront à éclairer la stratégie qui s’impose.

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