Revue

Revue

Que reste-t-il des objectifs de développement durable ?

La chronique prospective de Yannick Blanc

en
L’adoption des objectifs de développement durable (ODD) lors d’une session spéciale de l’Assemblée générale des Nations unies en septembre 2015 était le fruit d’un processus diplomatique engagé dès le début du siècle, les « objectifs du Millénaire pour le développement » (OMD), adoptés par les Nations unies en 2000 et définis comme des cibles à atteindre en 2015. Ceux-ci étaient spécifiquement axés sur la réduction de la pauvreté et le développement humain dans les pays en développement.

Les OMD

  1. Éliminer l’extrême pauvreté et la faim : réduire de moitié la proportion de personnes vivant dans l’extrême pauvreté et souffrant de la faim.
  2. Assurer l’éducation primaire pour tous : assurer que tous les enfants, garçons et filles, puissent bénéficier d’un enseignement primaire complet et de qualité.
  3. Promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes : éliminer les disparités entre les sexes à tous les niveaux de l’enseignement.
  4. Réduire la mortalité infantile de deux tiers entre 1990 et 2015.
  5. Améliorer la santé maternelle : réduire de trois quarts, entre 1990 et 2015, le taux de mortalité maternelle.
  6. Combattre le VIH/sida, le paludisme et d’autres maladies : arrêter et inverser la propagation du VIH/sida, du paludisme et d’autres maladies majeures.
  7. Assurer un environnement durable : intégrer les principes du développement durable dans les politiques nationales et inverser la perte de ressources environnementales.
  8. Développer un partenariat mondial pour le développement : mettre en place un partenariat mondial pour le développement, y compris des objectifs spécifiques pour l’aide, le commerce et la dette, afin de répondre aux besoins des pays en développement.

C’est lors de la conférence dite « Rio+20 » tenue en 2012 que le processus des ODD a été lancé pour sortir « par le haut » d’un double échec, celui des OMD dont l’échéance devenait très proche (même si la grande pauvreté avait effectivement reculé) et celui de la conférence elle-même qui, pas plus que celle de Copenhague en 2009, ne parvenait à des engagements significatifs pour lutter contre le réchauffement climatique. Par rapport au processus diplomatique lancé à Rio en 1992, à l’occasion duquel le rapport Brundtland avait introduit la notion de développement durable (sustainable development), les ODD témoignaient d’un double changement de paradigme :

  • Rupture avec la notion d’aide au développement, qui était encore celle des ODD, fondée sur l’idée d’un rattrapage du développement du Sud par rapport au Nord. La crise climatique impliquait de s’émanciper du modèle de développement industriel dominant et de rechercher à l’échelle de la planète un nouveau modèle de développement accordant une place égale à l’économie, au développement humain et social, et aux institutions.
  • Rupture avec la fiction des traités internationaux considérés comme des décisions à mettre en œuvre par les gouvernements des États signataires. Dans leur processus d’élaboration comme dans leur trajectoire de réalisation, les ODD adoptent le principe de la « stratégie d’impact collectif » : on met autour de la table l’ensemble des parties prenantes (gouvernements, acteurs économiques, société civile représentée par les organisations non gouvernementales), on définit des objectifs communs et on laisse ensuite chacune des parties prenantes poursuivre ces objectifs selon le champ de compétences, la gouvernance et les modalités d’action qui lui sont propres, en renseignant une batterie de 169 indicateurs censés mesurer annuellement les résultats de l’action collective.

À mesure que s’approche l’échéance opérationnelle de l’Agenda 2030 des Nations unies, il paraît évident que les fameux objectifs ne seront pas atteints, et de loin. Trois types de raisons majeures permettent de l’expliquer, tenant à la consistance des objectifs eux-mêmes, aux circonstances géopolitiques et au portage de la démarche.

Comme Dominique Bourg n’a cessé de le marteler dès 2012, et à plusieurs reprises dans les colonnes de Futuribles, le concept de développement durable n’est pas… soutenable, pour des raisons qui ne sont ni économiques ni politiques, mais écologiques, c’est-à-dire physiques. Ce qu’on appelle développement dans le monde industriel suppose une consommation de ressources, une destruction de milieux naturels, de biodiversité et un niveau d’émission gaz à effet de serre tout simplement incompatibles avec la régénération et l’habitabilité de la planète. La trajectoire de la vie humaine à l’échelle planétaire ne peut plus être pensée en termes de développement mais doit l’être en termes de résilience, de sobriété et donc, à proprement parler de « soutenabilité ». Il faut cependant rappeler que, dès son origine, le développement durable n’est pas un oxymore mais témoigne de la recherche d’un compromis équitable entre les limites inhérentes à la disponibilité des ressources et le droit au développement des populations frappées par la pauvreté. La dynamique du développement durable repose sur le postulat que ce compromis peut résulter de la convergence d’une multitude d’initiatives éclairées par le cadre stratégique des ODD.

On doit cependant constater que les circonstances géopolitiques qui ont permis, de 1992 à 2015, un certain consensus sur le développement durable n’existent plus. Non seulement les trajectoires observables aujourd’hui sur la planète ne convergent pas vers des objectifs communs, mais l’adoption même de la résolution de 2015 serait aujourd’hui impensable. Malgré ses fondements scientifiques, les risques et les intérêts planétaires communs auxquels elle répond, la transition écologique ne s’inscrit pas dans l’univers managérial des objectifs et des indicateurs, mais déchaîne tout au contraire l’affrontement des stratégies de puissance. Ce n’est pas d’un tableau de bord qu’elle a besoin mais d’une politique.

La situation française permet d’illustrer cette situation. La France a voté l’Agenda 2030 à l’Organisation des Nations unies (ONU) et s’est donc engagée à le mettre en œuvre. Le Commissariat général au développement durable, direction du ministère en charge de la transition écologique, rassemble les données et alimente, avec l’aide de l’INSEE (Institut national de la statistique et des études économiques), le tableau de bord des indicateurs, il anime toutes sortes de démarches avec les administrations, les collectivités territoriales et la société civile, il prépare les « forums politiques à haut niveau » que l’ONU consacre aux ODD. Malgré cette mobilisation en bonne et due forme de l’appareil d’État, les ODD n’ont jamais été considérés comme un enjeu politique, ni par le gouvernement ni par les autres acteurs du champ politique. Tout se passe comme si la « managérialisation » du développement durable à travers les ODD, qui a permis sa neutralisation politique à l’ONU, le rendait impropre à nourrir controverses, stratégies et arbitrages, et donc à susciter de véritables engagements. Le tableau coloré des 17 objectifs fournit une caution institutionnelle et un langage commun à l’expression des bonnes volontés (projets associatifs et philanthropiques, responsabilité sociale et environnementale des entreprises, politiques urbaines…) mais, comme le montre aujourd’hui la crise agricole en Europe, ne pèse pas lourd face à la conjonction des lobbies et des impatiences populaires. L’expression de la puissance, qu’elle soit extractive, militaire ou numérique, reste l’ennemie déterminée du développement durable.

Les ODD

  1. Éradication de la pauvreté
  2. Lutte contre la faim
  3. Accès à la santé
  4. Accès à une éducation de qualité
  5. Égalité entre les sexes
  6. Accès à l’eau salubre et à l’assainissement
  7. Recours aux énergies renouvelables
  8. Accès à des emplois décents
  9. Bâtir une infrastructure résiliente, promouvoir une industrialisation durable qui profite à tous et encourager l’innovation
  10. Réduction des inégalités
  11. Villes et communautés durables
  12. Consommation et production responsables
  13. Lutte contre les changements climatiques
  14. Vie aquatique
  15. Vie terrestre
  16. Justice et paix
  17. Partenariats pour la réalisation des objectifs

Peut-être est-ce une raison suffisante pour ne pas renoncer au référentiel malgré ses faiblesses avérées. Il existe dans plusieurs parties du monde une multitude d’acteurs qui en ont déjà fait le début d’un langage commun ; pourquoi ne pas réarticuler ces 17 mots pour en faire l’étendard d’une cause commune ?

Les ODD remaniés pour inclure les enjeux environnementaux

Priorité au vivant

  • Consommation et production responsables (sobriété)
  • Lutte contre les changements climatiques
  • Vie aquatique et vie terrestre (biodiversité)

Des institutions pour agir

  • Justice et paix
  • Partenariats pour la réalisation des objectifs

Une société inclusive

  • Éradication de la pauvreté
  • Lutte contre la faim
  • Accès à la santé
  • Accès à une éducation de qualité
  • Égalité entre les sexes
  • Accès à des emplois décents
  • Réduction des inégalités

Des technologies soutenables

  • Accès à l’eau salubre et à l’assainissement
  • Recours aux énergies renouvelables
  • Bâtir une infrastructure résiliente, promouvoir une industrialisation durable qui profite à tous et encourager l’innovation
  • Villes et communautés durables
#Aide au développement #Changement climatique #Coopération internationale #Développement durable #Développement économique #Inégalités #Pauvreté #Sobriété