Revue

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Politique environnementale

L’ADEME (Agence de la transition écologique) et le CSTB (Centre scientifique et technique du bâtiment) ont conduit en 2020 une démarche de prospective intitulée « Imaginons ensemble les bâtiments de demain ». Cette réflexion a abouti à un ensemble de matériaux accessible sur le site dédié, dont quatre scénarios à l’horizon 2050 et 22 fiches variables. Ces dernières sont réactualisées et publiées, chaque mois, sous forme de Repères sur le site de Futuribles [1].

Synthèse

  • En Europe et en France, le contexte de crise énergétique de l’hiver 2022 a eu un effet ambigu sur la politique énergie / climat. D’une part, la notion de sobriété a fait irruption dans les politiques énergétiques. De l’autre, certaines politiques de gestion de crise mises en place (bouclier tarifaire, investissement dans des infrastructures de transport de gaz naturel liquéfié) sont peu compatibles avec les objectifs de transition écologique.
  • Les incertitudes sur la capacité à agir collectivement pour atteindre les objectifs environnementaux se confirment. Les efforts d’atténuation du changement climatique restent insuffisants : si les émissions territoriales françaises brutes sur la période 2019-2022 sont en accord avec les budgets carbone de la Stratégie nationale bas-carbone 2 (SNBC2), la révision de cette dernière pour prendre en compte les nouveaux objectifs européens (Fit for 55) amènera à augmenter l’ambition des budgets carbone à court terme (2030).
  • Le début de la mise en place progressive de certaines politiques environnementales emblématiques (zones à faibles émissions, zéro artificialisation nette…) souligne l’articulation difficile entre court et long termes, entre politiques publiques environnementales et problématiques économiques, sociales, industrielles, ainsi que leurs difficultés à intégrer les disparités territoriales et entre catégories de ménages.
  • L’arrivée sur l’agenda politique des enjeux de réindustrialisation et de souveraineté soulève la question de leur articulation avec les politiques environnementales, notamment sur les enjeux d’accès aux ressources (matériaux de la transition…).
  • Les enjeux d’adaptation au changement climatique prennent une place de plus en plus importante dans les politiques environnementales françaises. Pour la première fois, des scénarios dégradés où la limitation du changement climatique est un échec sont étudiés dans la mise à jour du Plan national d’adaptation au changement climatique.

Pourquoi est-ce important pour le bâtiment et l’immobilier ?

Le niveau d’ambition des politiques environnementales ainsi que leur mise en œuvre effective sur le terrain auront un impact important sur les bâtiments et l’immobilier. Ainsi, ce facteur vise à capter les grandes incertitudes liées aux politiques de transition environnementale, en termes à la fois d’ambition (objectifs, rythme), d’approche stratégique (atténuation et prévention versus adaptation) et de modalités de mise en œuvre (efficacité des politiques, niveau d’atteinte des objectifs, etc.).

Les grandes évolutions des politiques environnementales pourront avoir de multiples impacts sur le secteur du bâtiment et de l’immobilier :

  • L’ambition des politiques climatiques peut avoir un effet structurant sur les normes techniques (performance énergétique, empreinte carbone) des bâtiments neufs et existants, mais également sur le marché immobilier lui-même (prix des bâtiments, impacts d’une obligation de rénovation énergétique sur l’offre et la demande) et sur l’évolution de l’activité dans le bâtiment.
  • Les politiques en matière de réduction de l’artificialisation des sols pourront fortement influencer l’aménagement des territoires et le marché immobilier, en agissant sur la rareté du foncier et les exigences en termes d’autorisation de nouveaux permis de construire.
  • L’avènement de l’économie circulaire et les pressions sur l’utilisation de matériaux pourront, elles aussi, affecter les matériaux et techniques de construction.
  • Les politiques environnementales auront aussi un impact par leur capacité à limiter (ou pas) certains risques écologiques, notamment en lien avec les conséquences du changement climatique et la nécessaire adaptation des bâtiments : multiplication des canicules et confort d’été, montée des eaux et aménagement du littoral, etc.

Rétrospective

En 2020…

En 2020, l’analyse rétrospective que nous faisions des politiques environnementales dans le cadre de l’étude prospective Imaginons ensemble les bâtiments de demain faisait apparaître les points suivants :

  • En France, la prise en compte politique de l’environnement date des années 1970. En 50 ans, la nature des défis environnementaux ainsi que leur perception et leur gestion politique ont fortement évolué :
  • Première évolution : du traitement d’enjeux locaux (pollutions locales) à des défis de plus en plus globaux (changement climatique, érosion de la biodiversité…).
  • Deuxième évolution : le changement de statut, en passant d’un enjeu « marginal » à une question centrale de l’activité politique.
  • Troisième évolution : le dépassement des horizons politiques habituels et l’intégration du long terme dans la planification de l’action publique, incarnée par l’élaboration de stratégies de transition écologique ayant pour horizon 2030 ou 2050.
  • On assiste depuis un certain nombre d’années à un renforcement significatif de l’ambition politique à moyen et long termes. Cette ambition a néanmoins du mal à se traduire en termes de mise en œuvre, les changements restant marginaux.
  • La lutte contre le changement climatique occupe de plus en plus de place dans les politiques environnementales ; une prise de conscience émerge sur la nécessité de développer également des politiques d’adaptation.

En 2020, l’analyse rétrospective que nous faisions des politiques environnementales dans le cadre de l’étude prospective Imaginons ensemble les bâtiments de demain faisait apparaître les points suivants :

  • En France, la prise en compte politique de l’environnement date des années 1970. En 50 ans, la nature des défis environnementaux ainsi que leur perception et leur gestion politique ont fortement évolué :
  • Première évolution : du traitement d’enjeux locaux (pollutions locales) à des défis de plus en plus globaux (changement climatique, érosion de la biodiversité…).
  • Deuxième évolution : le changement de statut, en passant d’un enjeu « marginal » à une question centrale de l’activité politique.
  • Troisième évolution : le dépassement des horizons politiques habituels et l’intégration du long terme dans la planification de l’action publique, incarnée par l’élaboration de stratégies de transition écologique ayant pour horizon 2030 ou 2050.
  • On assiste depuis un certain nombre d’années à un renforcement significatif de l’ambition politique à moyen et long termes. Cette ambition a néanmoins du mal à se traduire en termes de mise en œuvre, les changements restant marginaux.
  • La lutte contre le changement climatique occupe de plus en plus de place dans les politiques environnementales ; une prise de conscience émerge sur la nécessité de développer également des politiques d’adaptation.

Mise à jour 2023

Nouveaux accords et nouveaux textes politiques à l’échelle mondiale, européenne et française

Les années 2021-2022-2023 ont vu l’adoption de nouvelles politiques et la conclusion de nouveaux accords dans le champ environnemental. Toutes ces politiques confirment le renforcement des ambitions énergie-climat, notamment en réponse à une accélération du changement climatique et des dégradations environnementales.

• À l’échelle mondiale :

La 26e Conférence des parties (COP26) de Glasgow en 2021 a abouti à l’engagement de plusieurs dizaines d’États, dont la France, à mettre fin à l’utilisation de charbon pour la production électrique à l’horizon 2030-2040, ainsi qu’à l’arrêt du financement des projets fossiles à l’étranger n’utilisant pas de technologie de capture de carbone. Les pays les plus émetteurs n’ont toutefois pas rejoint cet accord [2]. Par ailleurs, ces ambitions ont été contrariées par la crise énergétique survenue suite à l’invasion de l’Ukraine, bien que la relance du charbon ait finalement été limitée en Europe [3]. En revanche, la forte réduction des importations de gaz russe a conduit l’Union européenne (UE) à investir massivement dans les infrastructures de transport de gaz naturel liquéfié (GNL). Cela pourrait conduire à retarder la sortie des énergies fossiles face au risque d’actifs échoués [4].

En 2022, la COP27 de Charm el-Cheikh a été marquée par l’établissement d’un fonds sur les pertes et dommages, à la demande des pays en développement qui sont les premières victimes du changement climatique. Les modalités de financement ont fait l’objet de vifs débats, dans un contexte où la contribution des pays développés demeure insuffisante au vu de leur responsabilité historique [5].

Enfin, les enjeux croisés biodiversité-climat ont été soulignés par la COP27 et renforcés en 2023 par l’accord de Kunming-Montréal lors de la COP15 sur la biodiversité [6].

• À l’échelle européenne :

Dans le cadre du Green Deal, les mesures du paquet législatif « Fit for 55 » sont en cours d’adoption au niveau européen depuis juin 2021. Elles fixent des objectifs climat-énergie encore plus ambitieux pour l’UE à l’horizon 2030 : réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre (GES), part de 40 % des énergies renouvelables dans le mix énergétique et baisse de 9 % de la consommation d’énergie finale par rapport à 2020. Ces mesures sont en cours de transposition dans les droits des États membres. Cela implique une hausse des ambitions climatiques nationales dans les différents secteurs, avec des mesures emblématiques telles que l’interdiction de la vente de véhicules thermiques en Europe à partir de 2035.

Suite à l’invasion de l’Ukraine et aux ruptures d’approvisionnement en gaz russe, le plan REPowerEU propose de concilier sécurité énergétique et décarbonation avec des objectifs proposant notamment d’augmenter la part des énergies renouvelables (ENR) dans le mix à 45 % et d’accentuer la baisse de la consommation d’énergie à 13 % en 2030 [7].

Dans le cadre du paquet Fit for 55, le législateur de l’UE a adopté l’élargissement du système d’échanges de quotas d’émissions carbone (EU-ETS), avec un arrêt progressif des quotas gratuits d’émissions, la création d’un nouveau marché spécifique au bâtiment et aux transports routier et maritime, ainsi que l’instauration d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) à l’horizon 2035 [8].

On peut toutefois se demander si le MACF parviendra à limiter les délocalisations des industries les plus émissives vers d’autres marchés internationaux. Constituera-t-il une forme de protectionnisme augmentant la part du marché intérieur européen dans les exportations ? Au contraire, la généralisation à l’international de ces normes plus exigeantes est-elle envisageable ? La capacité de l’UE et des États membres à assurer une redistribution sociale vers les ménages et les secteurs les plus fragiles sera également un élément clef d’acceptabilité de ce système. En cas de réussite, il pourrait être un outil déterminant pour l’orientation des investissements vers des systèmes productifs moins carbonés.

• À l’échelle française :

En France, ces dernières années ont été marquées par l’adoption de la loi Climat et résilience, qui lie notamment plus étroitement enjeux climatiques et de biodiversité en introduisant la notion de zéro artificialisation nette (ZAN).

La période est également celle de la mise à jour en cours des principaux documents stratégiques français : Stratégie nationale bas-carbone (SNBC), Programmation pluriannuelle de l’énergie, nouvelle loi de programmation Énergie-climat, Stratégie nationale de la biodiversité, projet de loi Industrie verte, projet de loi d’orientation agricole.

En Europe et en France, un contexte de crise énergétique aux effets ambigus sur la politique énergie-climat

Les facteurs conjoncturels liés à la crise énergétique ont eu des effets contrastés sur l’évolution des émissions de GES en France en 2022 :

  • D’une part, on a observé une hausse des émissions du secteur énergétique liée aux difficultés du parc nucléaire et hydraulique français, ainsi qu’aux tensions sur l’approvisionnement en gaz russe ayant conduit à utiliser des combustibles plus émissifs (charbon, fioul). Cette hausse a toutefois été limitée par rapport aux craintes initiales, principalement du fait du déploiement important des moyens de production éoliens et solaires en Europe [9].
  • D’autre part, les secteurs de l’industrie (– 6,4 %) et du bâtiment (– 14,7 %) ont connu une baisse importante de leurs émissions en 2022. Cela s’explique par la hausse du prix de l’énergie qui a conduit certaines industries à la production intensive en énergie à réduire leur activité économique. Dans le bâtiment, la réduction des besoins de chauffage a principalement été causée par un hiver doux, bien que les comportements de sobriété et l’impact du signal-prix ne soient pas à négliger (baisse de 5,4 % des émissions, ajustée des variations climatiques) [10].

On observe ainsi deux tendances contradictoires dans les politiques énergétiques :

  1. L’irruption de la notion de sobriété sur la scène publique, notamment avec le Plan de sobriété de l’État : la crise énergétique a entraîné une réduction historique des consommations d’électricité et de gaz des entreprises et des ménages (ajustée du climat doux lors de l’hiver 2022-2023). Si dans l’industrie la réduction de l’activité économique, l’amélioration de l’efficacité énergétique et le changement de combustible expliquent principalement ce phénomène, les comportements de sobriété (respect de la température de consigne notamment) ont joué un rôle significatif dans la réduction de la demande des ménages, motivés principalement par le signal-prix [11].
  2. Des politiques de gestion de crise (bouclier tarifaire) peu compatibles avec les politiques de transition : les subventions aux énergies fossiles ont atteint un record dans le monde en 2023 [12]. Si ce soutien des États n’a pas entravé la baisse de la demande énergétique afin de s’adapter aux tensions sur les approvisionnements, la soutenabilité économique et environnementale de ces subventions interroge. En cas de maintien de prix élevés des énergies fossiles lors des prochaines années, et face aux inerties de transformation des systèmes productifs et modes de vie des ménages, comment concilier protection du pouvoir d’achat et incitations à la décarbonation via le signal-prix ?

La montée en puissance des enjeux d’adaptation au changement climatique dans les politiques environnementales françaises

L’accélération des effets du changement climatique ainsi que la capacité partielle des politiques d’atténuation françaises et européennes à atteindre leurs objectifs et résoudre un problème de nature globale, poussent de plus en plus à l’adoption de stratégies d’adaptation au changement climatique.

Les référentiels de ces stratégies d’adaptation ne se limitent pas au contexte normatif d’atteinte de la neutralité carbone ou de respect de l’accord de Paris : ils incluent des scénarios dégradés où la limitation du changement climatique est un échec. En France, la mise à jour en 2023 du Plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC) marque une rupture en intégrant un référentiel à + 4 °C en France en 2100 [13]. Cela correspond à la borne haute d’un scénario de poursuite des objectifs des politiques d’atténuation actuellement adoptées dans le monde, qui se traduirait par un réchauffement global d’environ de 2,7 °C [14].

L’articulation des stratégies d’adaptation avec les stratégies d’atténuation demeure encore incertaine : politique « sans regrets » ou, au contraire, concurrence en matière d’orientation stratégique, de financements, de moyens humains et d’outils institutionnels pour leur mise en œuvre ? Se dirige-t-on vers des conflits d’usages locaux en matière de foncier, d’infrastructures pour l’adaptation et l’atténuation ?

Les enjeux politiques liés à l’adaptation sont de plus en plus visibles eu égard à l’accélération des effets du changement climatique. En 2022, les dommages de la sécheresse des sols sur les bâtiments ont notamment donné lieu à plus de 8 000 demandes de communes pour la reconnaissance d’état de « catastrophe naturelle » au titre du retrait-gonflement des argiles (RGA). Le coût de ces dommages a été évalué à 2,9 milliards d’euros, ce qui questionne la soutenabilité de sa couverture assurantielle selon la Caisse centrale de réassurance [15]. La notion de « bouilloire thermique » a également fait son apparition dans les médias pour désigner les logements rendus difficilement habitables du fait des vagues de chaleur. En réaction à ces impacts, on observe une montée en puissance de l’intervention publique, un signal faible étant par exemple l’interdiction des permis de construire dans une commune du Var [16]. Enfin, la multiplication des arrêtés préfectoraux relatifs à la gestion des sécheresses met en lumière le rôle de l’État dans les arbitrages sur les usages de l’eau au niveau local, avec des restrictions plus ou moins fortes sur les prélèvements dans un contexte de crise.

Des incertitudes confirmées sur la capacité à agir collectivement pour atteindre les objectifs environnementaux

Des efforts d’atténuation du changement climatique insuffisants

À l’échelle mondiale, on n’observe toujours pas de tendance à la baisse des émissions de GES, malgré un ralentissement de leur hausse. Les émissions territoriales françaises et européennes sont en baisse significative depuis 1990, mais avec un retard croissant dans le rythme nécessaire à l’atteinte des objectifs de neutralité carbone.

En France, si le « monde d’après » un temps fantasmé lors de la crise sanitaire ne s’est pas matérialisé, il n’y a pas eu non plus de rebond massif des émissions territoriales. Après une hausse de 5,7 % en 2021, les émissions brutes sont en baisse de 2,7 % en 2022, atteignant un niveau inférieur à celui de 2019.

Émissions territoriales et empreinte carbone de la France depuis 2010 (en MtCO2éq)

UTCATF : utilisation des terres, du changement d’affectation des terres et de la foresterie.
MtCO2éq : millions de tonnes équivalent CO2.
Source : HCC, op. cit. (rapport complet), p. 57.

Ainsi, les émissions territoriales françaises brutes sur la période 2019-2022 sont en accord avec les budgets carbone fixés par la SNBC2. Toutefois, la prise en compte des émissions nettes implique que ce budget est en voie d’être dépassé. Pour cause, la fonction de puits de carbone de la forêt française s’est fortement dégradée lors de la dernière décennie sous l’effet de la baisse de la croissance forestière, de la hausse de la mortalité des espèces arboricoles et des incendies. Ce phénomène s’accélère sous l’effet du changement climatique : la quantité de carbone stockée par le secteur UTCATF a ainsi diminué de 21 % en 2021, alors que les sécheresses du printemps et de l’été 2022 ont contribué à détériorer davantage les stocks de carbone des forêts. Afin de respecter les objectifs climatiques, la détérioration du puits de carbone naturel induit une hausse de l’effort de réduction des émissions des secteurs d’activité. Par ailleurs, les solutions artificielles de stockage du carbone apparaissent de plus en plus nécessaires pour réduire les émissions et seront indispensables pour l’atteinte de la neutralité carbone.

Par ailleurs, ceci intervient dans un contexte où les objectifs de réduction des émissions territoriales sont appelés à augmenter dans le cadre des engagements climatiques français. La baisse annuelle moyenne de 9,1 MtCO2éq sur la période 2019-2022 est moins forte que celle de 12 MtCO2éq sur la période 2023-2030 dans le cadre de la SNBC2. Surtout, elle devra doubler pour atteindre les 17 MtCO2éq nécessaires au respect des objectifs européens Fit for 55.

Enfin, l’empreinte carbone de la France, qui inclut les émissions importées, a également connu un rebond en 2021 (+ 7,4 %) après une baisse importante lors de la crise sanitaire. Cette empreinte demeure toutefois en baisse tendancielle de 9 % depuis 1995, bien que les émissions importées aient augmenté sur cette période [17].

Face au retard dans l’atteinte de ces objectifs, se dirige-t-on vers une montée en puissance de la place de la société civile dans le contentieux climat, vers une judiciarisation accrue de l’action climatique ? La condamnation de la France par le Conseil d’État et le tribunal administratif de Paris pour non-respect des budgets carbone associés au respect de l’accord de Paris (« Commune de Grande-Synthe » et « Affaire du siècle ») pourrait constituer un signal faible d’une judiciarisation de l’action climatique.

La mise en place des politiques met en évidence la difficile articulation entre court et long termes

Récemment, le début de la mise en place progressive de certaines politiques environnementales emblématiques (zones à faibles émissions, interdiction de location des passoires thermiques, ZAN) souligne l’articulation difficile entre court et long termes, entre politiques publiques environnementales et problématiques économiques, sociales, industrielles, ainsi que leurs difficultés à intégrer les disparités territoriales, et entre catégories de ménages en matière d’effort demandé et de leviers d’adaptation à disposition [18].

Cependant, une ambition renforcée de planification et de pilotage interministériel des stratégies et politiques de transition écologiques a été récemment affirmée, illustrée par la création du Secrétariat général à la planification écologique (SGPE) en 2023 [19]. Le caractère collectif et intersectoriel de l’action climatique apparaît d’autant plus important que des conflits d’usage majeurs apparaissent de plus en plus nettement. C’est le cas notamment concernant la biomasse et les besoins énergétiques, alimentaires, industriels associés des secteurs qui intègrent cette ressource dans leur stratégie actuelle et de transition [20].

Enfin, les enjeux d’adaptation au changement climatique s’invitent dans les conflits locaux et interrogent la capacité d’action collective sur ces sujets. Les conflits autour d’infrastructures qui voient se confronter des visions du monde différentes ne sont pas nouveaux, ils suivent les cycles d’aménagement. Ce qui est nouveau, c’est le fait qu’ils concernent des projets avec une dimension d’adaptation au changement climatique (« bassines » de Sainte-Soline), ce qui met en évidence des enjeux de concertation et négociation entre groupes sociaux qui n’ont pas la même lecture sur la meilleure façon de s’adapter.

Réindustrialisation et souveraineté : quelle compatibilité avec les politiques environnementales ?

La décarbonation du système énergétique s’appuiera sur des technologies bas-carbone (ENR éolien, solaire, batteries électriques) qui exerceront une pression croissante en matière d’extraction de matériaux et notamment de métaux, par ailleurs facteur de pollution des sols et des eaux. En réponse à ce besoin en ressources et à un contexte géopolitique de plus en plus tendu et incertain, l’objectif de renforcement de l’autonomie stratégique de l’UE dans la production de ces technologies semble se traduire, au vu de l’urgence de leur adoption de masse, par un assouplissement des réglementations environnementales et une accélération des procédures d’autorisation administrative [21].

Ces pistes réglementaires sont au cœur de la stratégie énergétique REPowerEU et de l’ajustement de la politique industrielle Net-Zero Industry Act proposé en 2023 par la Commission européenne, en réponse à l’Inflation Reduction Act des États-Unis. Comme l’ont souligné les critiques exprimées suite à l’appel du président Macron à une « pause » dans la réglementation environnementale européenne, la réindustrialisation au service des objectifs de transition énergétique sera facteur de clivages entre politiques environnementale, climatique, énergétique et industrielle [22].

En effet, la relocalisation en Europe des chaînes de valeur de la transition énergétique sera facteur d’externalités environnementales locales, alors que les bénéfices environnementaux liés à la sortie des énergies fossiles seront de nature globale (baisse des émissions de GES) ou localisés en majorité à l’étranger (réduction des impacts de l’extraction de ressources fossiles, dont l’Europe est peu dotée). Cette tension pourrait susciter des problèmes d’acceptabilité sociale, particulièrement dans les pays ayant mis fin aux activités minières liées au charbon, comme la France.

Quelles hypothèses à 2050 ?

L’analyse menée en 2020 nous avait amenés à identifier deux questions clefs conduisant à trois grandes hypothèses sur l’évolution de la politique environnementale :

  • Les politiques environnementales seront-elles efficaces ? Quels seront les outils déployés (incitatifs, contraignants…) ? Ceux-ci seront-ils acceptés ? Au final, quelle sera notre capacité à agir de manière coordonnée et collective ? Basculera-t-on plutôt vers une individualisation des réponses apportées aux enjeux environnementaux ?
  • Où s’établira l’équilibre entre l’effort d’atténuation des impacts humains sur l’environnement et l’effort d’adaptation aux changements environnementaux ? Peut-on imaginer un abandon des efforts d’atténuation pour donner plus de place aux urgences de l’adaptation ?

L’hypothèse tendancielle retenue dans la démarche « Imaginons ensemble les bâtiments de demain » début 2022, à savoir « Abandon de l’action collective et fracture », n’est pas remise en cause par les évolutions récentes, qui confirment à la fois la difficulté à atteindre les objectifs et la montée en puissance de l’adaptation.

Schéma synthétique

*Hypothèse tendancielle.

  1. Les auteurs de cette note ont bénéficié du concours d’Antoine Le Bec (Futuribles).

  2. Ducourtieux Cécile, « COP26 : une quarantaine de pays s’engagent à sortir plus vite du charbon, mais les gros consommateurs manquent à l’appel », Le Monde, 4 novembre 2021.

  3. Cabot Cyrielle, « Sortie du charbon : un bilan 2022 encourageant… mais plombé par la Chine », France 24, 8 avril 2023.

  4. C’est-à-dire ayant perdu de la valeur (dépréciations, dévaluations, conversions au passif…).

  5. Harvey Fiona et alii, « COP27 Agrees Historic ‘Loss and Damage’ Fund for Climate Impact in Developing Countries », The Guardian, 20 novembre 2022.

  6. Alvarez Concepcion, « Accord de Kunming-Montréal : voici les 23 cibles adoptées à la COP15 Biodiversité », Novethic, 3 janvier 2023.

  7. Le Bec Antoine, « La stratégie énergétique de l’Union européenne », Futuribles, n° 450, septembre-octobre 2022.

  8. « Climat : feu vert des eurodéputés à la réforme du marché carbone », Euractiv France (avec AFP), 18 avril 2023.

  9. « Wind and Solar Overtake Fossil Gas to Produce Record Fifth of EU Electricity », Ember, 31 janvier 2023.

  10. HCC (Haut Conseil pour le climat), Acter l’urgence. Engager les moyens. Rapport annuel 2023 du HCC. Résumé exécutif, juin 2023, p. 9

  11. Voir par exemple Étude sur les mécanismes de décision des Français en matière de consommation énergétique, RTE (Réseau de transport d’électricité) / Ipsos-Game Changers, mai 2023.

  12. Messad Paul, « En 2022, les États membres ont dépensé 330 milliards d’euros pour amortir les prix de l’énergie » Euractiv France, 22 février 2023.

  13. « Adaptation de la France au changement climatique », ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires », mai 2023.

  14. HCC, Acter l’urgence. Engager les moyens. Rapport annuel 2023 du HCC, HCC, juin 2023, p. 184.

  15. HCC, op. cit. (synthèse), p. 3

  16. Delacorne Basile, « Ces maires qui refusent des permis pour cause de sécheresse », BatiActu, 2 mars 2023.

  17. HCC, op. cit. (rapport complet).

  18. Avignon Claire, « ZAN, ZFE, passoires thermiques : Terra Nova alerte sur les menaces qui pèsent sur ces “trois grenades dégoupillées” », AEF info, Dépêche n° 683332, 30 novembre 2022.

  19. Rüdinger Andreas, « Planification de la transition bas-carbone en France : faire mieux avec moins », Billet de blog, 2 février 2023, IDDRI (Institut du développement durable et des relations internationales).

  20. Mieux produire. La planification écologique dans l’énergie, SGPE, Document de travail, 12 juin 2023, p. 12.

  21. Le Bec Antoine, « Vers une nouvelle vague de désindustrialisation en Europe ? », Analyse prospective, n° 286, 15 mai 2023, Futuribles International.

  22. Tonnelier Audrey, Conesa Elsa et Malingre Virginie, « Industrie : Macron appelle à une “pause” dans la réglementation environnementale européenne », Le Monde, 12 mai 2023.

#Climat #Énergie #France #Politique de l’environnement #Transition écologique #Union européenne