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Petite Philosophie des algorithmes sournois

Analyse de livre

« Un algorithme est une méthode exécutable mécaniquement, qui permet d’atteindre un but en un nombre fini d’étapes distinctes » (p. 29). Aujourd’hui, les algorithmes servent d’ossature à tout un monde numérique. Leur nature interfacée fait qu’ils « ne se déclarent pas franchement et restent en partie cachés et incompréhensibles » (p. 13) : en un mot, « sournois ». C’est par ce constat que Luc de Brabandere, ingénieur et philosophe, introduit son ouvrage Petite Philosophie des algorithmes sournois. Il propose en quelques dizaines de pages un éclairage philosophique aux grandes questions soulevées par l’usage exponentiel d’algorithmes au sein de nos sociétés.

Brabandere Luc (de), Petite Philosophie des algorithmes sournois, Paris : éditions Eyrolles, octobre 2023, 192 p.

Avant toute chose, les algorithmes sont des outils qui servent des intérêts variés et souvent flous. Les moteurs de recherche, par exemple, sous-couvert d’un service rendu à ceux qui les utilisent, permettent un profit économique. En croisant les données de navigation des utilisateurs, ils rendent possible la création de profils types de consommateurs ou d’électeurs. Ces portraits sont ensuite vendus au plus offrant pour la diffusion de publicités ciblées ou de propagande politique conçues sur mesure pour influencer leurs comportements.

La nature construite des algorithmes les rend par essence biaisés : ils prennent racine dans l’imaginaire d’individus façonnés par les sociétés dans lesquels ils évoluent. Les résultats qu’ils proposent dépendent des entrées qui leur ont été fournies mais aussi de leur structure même. Par définition, ils sont une traduction du réel et ont tendance à reproduire les stéréotypes et usages qui façonnent nos existences. Par exemple, l’auteur montre qu’un outil de traduction traduit « surgeon » par « chirurgien » et « nurse » par « infirmière », en ajoutant donc une dimension genrée à un mot anglais qui n’en appelait pas.

Prendre conscience de ces biais est essentiel alors que le tissu numérique s’imbrique étroitement avec celui de nos existences. Quand les algorithmes deviennent des outils d’aide à la prise de décision, il ne faut pas faire d’eux une source unique d’information, ni considérer les résultats qu’ils affichent comme incontestables. Comprendre la manière dont les algorithmes fonctionnent, la logique qui les façonne, est un devoir dont on ne peut pas se priver.

L’auteur rappelle que les algorithmes ne sont pas des outils récents mais qu’au contraire, ils existaient bien avant l’avènement du numérique. Tout comme une recette donne les étapes permettant de préparer un plat donné, le résultat proposé par l’algorithme dépend à la fois de la manière dont la recette a été écrite (par son développeur), du cuisinier (l’utilisateur) et des ingrédients utilisés (les données injectées dans le modèle). Le résultat obtenu n’est pas infaillible, le chemin parcouru pour l’obtenir est toujours discutable.