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Numérique et intelligence artificielle

L’ADEME (Agence de la transition écologique) et le CSTB (Centre scientifique et technique du bâtiment) ont conduit en 2020 une démarche de prospective intitulée « Imaginons ensemble les bâtiments de demain ». Cette réflexion a abouti à un ensemble de matériaux accessible sur le site dédié, dont quatre scénarios à l’horizon 2050 et 22 fiches variables. Ces dernières sont réactualisées et publiées, chaque mois, sous forme de Repères sur le site de Futuribles.

Synthèse

  • En 2024, les tendances structurantes identifiées en 2021 sont toujours pertinentes : les développements technologiques continuent de se diversifier et de s’accélérer, les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) ont acquis un poids économique mondial significatif et sont fortement impliqués dans le développement des principaux systèmes d’intelligence artificielle générative (SIAG).
  • Depuis 2022, l’intelligence artificielle générative s’est largement démocratisée avec le lancement d’outils comme ChatGPT, Dall.e ou Midjourney, qui génèrent automatiquement des contenus textuels ou audiovisuels.
  • Les SIAG peuvent avoir un impact sur l’emploi en venant compléter voire remplacer certaines tâches. Leur utilisation dans le cadre professionnel devrait permettre de gagner en productivité. Il reste difficile de prévoir si ces usages mèneront à la disparition massive de certains types d’emploi ou à des pertes de compétences pour les utilisateurs.
  • Des questions se posent en même temps que les usages des SIAG se multiplient, par exemple concernant leur impact sur la créativité et la cognition, le tissu social, l’environnement ou la sécurité.
  • Le développement et l’utilisation des solutions d’IA sont encore peu encadrés. L’Union européenne fait figure d’exception et a légiféré en mai 2024 avec un règlement européen sur l’IA.
  • Dans le secteur du bâtiment, l’IA peut avoir des impacts sur les phases de conception, de gestion de projet, de maintenance du bâti.

Pourquoi est-ce important pour le bâtiment et l’immobilier ?

Le développement du numérique peut avoir des conséquences dans de nombreux domaines en lien avec le bâtiment et l’immobilier. Par exemple :

  • Le développement des téléactivités (télétravail, médecine, enseignement, etc.) peut avoir un impact sur la localisation respective des logements et des activités, sur la fonction des bâtiments dédiés à une activité spécifique, sur les besoins de mobilité (e-mobilité) et de logistique.
  • Le développement du commerce en ligne modifie profondément les besoins et la localisation de surfaces commerciales et de plates-formes logistiques, ainsi que les besoins de mobilité associés.
  • Le développement des plates-formes d’échange rend possible la mise en relation d’acteurs souhaitant louer ou échanger des locaux, ou optimiser l’utilisation des espaces. Celles-ci concernent à la fois le logement privé, les logements sociaux, les bureaux, les commerces (modèle des commerces éphémères)…
  • Le développement des annonces en ligne et des visites virtuelles modifie profondément le métier de la transaction immobilière (avec également la croissance du peer-to-peer sans intermédiaire et l’apparition des nouveaux modèles cités ci-dessus).
  • Le développement du BIM (Building Information Model) change les processus de construction, rénovation et exploitation.
  • Les objets connectés (IoT) et l’équipement numérique du bâtiment (capteurs, etc.) intelligents font évoluer les bâtiments.
  • Le développement de plates-formes pourrait modifier la gestion de la main-d’œuvre dans le bâtiment (idée d’une ubérisation des métiers du bâtiment).
  • L’intelligence artificielle (IA) pourra également fortement transformer la conception et l’exploitation des bâtiments eux-mêmes, ainsi que les métiers qui y sont associés.
  • La robotique et les imprimantes 3D peuvent faire évoluer l’organisation des filières.

Rétrospective

En 2021…

L’analyse réalisée en 2021 sur le numérique a fait émerger plusieurs tendances structurantes :

  • La rapidité et la diversité des développements technologiques au cours des 50 dernières années, qui ont rendu de nombreuses applications numériques incontournables pour les individus et les entreprises.
  • L’émergence, depuis une dizaine d’années, de grappes d’innovations regroupées sous le terme SMAC : Social (réseaux sociaux, Airbnb…), Mobile (smartphones et applications), Analytic (applications reposant sur l’analyse des données), Cloud.
  • La montée en puissance des GAFAM qui, en une dizaine d’années, ont acquis un poids économique mondial significatif et se positionnent désormais comme de véritables acteurs des relations internationales.
  • L’émergence d’interrogations sur les limites et dérives du numérique (notamment concernant l’exploitation des données personnelles, la cybercriminalité, les possibilités de désinformation, mais aussi l’impact environnemental).
  • Le potentiel encore massif de développement de deux technologies en particulier : l’intelligence artificielle et la blockchain.

Mise à jour 2024

Compte tenu de la rapidité des progrès et des usages enregistrés par les systèmes d’intelligence artificielle générative (SIAG) depuis la note de 2021, cette actualisation se centre volontairement sur cette technologie, ses applications et les enjeux qui en découlent pour le bâtiment.

L’irruption des SIAG

L’IA est le développement de systèmes informatiques, ou de machines, capables d’accomplir des tâches cognitives humaines. L’IA générative s’en distingue par sa capacité à générer automatiquement du contenu, principalement des textes, des images et de la musique. En 2022, plusieurs versions publiques de SIAG sont rendues accessibles en ligne gratuitement, comme ChatGPT (pour Generative Pretrained Transformer) en décembre, ou Midjourney en juillet pour la génération d’images. Dès leur sortie, ces outils connaissent une popularité et une médiatisation inédites qui ont suscité un certain nombre de questionnements quant à leurs usages et limites.

Des impacts mitigés de l’IA sur le travail

La rapidité et l’ampleur de la diffusion des usages de l’IA générative suscitent des craintes exponentielles concernant ses impacts sur le travail. De fait, plusieurs études menées sur ce thème au cours des dernières années tendent à démontrer l’ambivalence de ces impacts.

Le recul disponible concernant l’adoption de l’automatisation de certains types de travaux au sens large permet de conclure que le recours aux machines dans un contexte professionnel ne se traduit pas automatiquement par des suppressions d’emplois. En effet, l’automatisation permet le plus souvent de remplacer ou de compléter les humains sur des tâches spécifiques plutôt que sur la totalité d’un poste. Elle implique donc aussi de repenser la nature de ce poste, voire de l’enrichir avec d’autres tâches plus valorisantes.

Les principales questions soulevées par l’utilisation de l’IA générative dans le cadre professionnel portent sur le fait qu’elle automatise des tâches généralement intellectuelles, créatives et qui nécessitent souvent un certain niveau de qualification. Le développement de l’utilisation de SIAG au travail pourrait alors pousser les entreprises à redéfinir le périmètre des postes et des compétences humaines attendues.

L’incertitude majeure pour l’avenir portera donc sur la nature exacte des tâches que les SIAG seront en mesure de prendre en charge, soit totalement, soit avec le concours d’un être humain. L’IA générative peut alors permettre de libérer un temps non négligeable sur des activités relevant notamment de la synthèse et de l’analyse de données, voire, dans certains cas, remplacer des humains sur des postes juniors. Elle peut aussi permettre de libérer du temps et donc d’augmenter la valeur ajoutée de ces postes.

Des études assez ambiguës

Plusieurs études portant sur les impacts de SIAG sur l’emploi peuvent être mentionnées :

  • Goldman Sachs a évoqué la disparition de 300 millions d’emplois dans le monde ;
  • McKinsey envisage de son côté que l’exploitation du potentiel de SIAG permette de générer de 2 600 à 4 400 milliards de dollars US de valeur ajoutée.

Ces estimations doivent être considérées avec prudence car elles ne prennent pas systématiquement en compte les spécificités de chaque pays, secteur et métier.

En France, une étude du cabinet de conseil Roland Berger estime que 1,4 million d’emplois pourraient être « augmentés » grâce à des SIAG, et donc gagner en qualité, en confort ou en créativité grâce à la délégation des tâches à faible valeur ajoutée aux SIAG. À l’inverse, 800 000 emplois pourraient disparaître [1].

En synthèse, les différentes études anticipent donc des impacts différenciés selon la nature des métiers concernés. Globalement, les IAG pourraient bénéficier aux métiers les plus qualifiés et aux profils seniors tout en pénalisant certains profils, par exemple les femmes qui ont plus tendance à occuper des postes administratifs, pouvant davantage être délégués à des IAG.

Et des pratiques actuelles encore limitées et peu déclarées

Plus concrètement, il semble qu’il existe un fossé entre la perception de l’impact de la démocratisation des SIAG sur le travail et l’état actuel des pratiques. D’après une étude Pôle Emploi menée en mai 2023 auprès de 3 000 établissements de 10 salariés ou plus en France métropolitaine, 35 % d’entre eux utilisent ou prévoient d’utiliser l’IA alors que 57 % ne l’envisagent pas. Une étude de Bpifrance ciblant plus particulièrement l’usage de l’IA générative dans les TPE et PME (très petites, petites et moyennes entreprises), datée de mars 2024, montre que 72 % des établissements interrogés n’utilisent pas les SIAG. Il existe donc des disparités dans l’utilisation d’IAG en fonction de la taille des organisations. Cependant, d’après un sondage Ifop-Talan de mai 2023, 68 % des Français qui utilisent les IA génératives en entreprise le cachent à leur supérieur hiérarchique : le recours aux SIAG dans le cadre du travail relèverait donc souvent, dans un premier temps, d’une décision du travailleur, parfois reprise et encadrée par son entreprise.

S’il est encore difficile d’évaluer avec précision les conséquences de l’usage des SIAG dans le travail sur le plan qualitatif, il semblerait qu’elles soient principalement utilisées ponctuellement et pour optimiser le travail.

Des États qui peinent de plus en plus à s’imposer face aux géants du numérique

Comme évoqué dans la fiche de 2021, le développement des acteurs du numérique soulève des questions d’ordre politique qui restent sensiblement les mêmes alors que les SIAG se démocratisent :

  • Qui décide des règles du numérique dans un contexte de décalage entre territorialité des pouvoirs publics traditionnels (dont la légitimité vient de leur élection par les citoyens de ce territoire) et a-territorialité d’entreprises multinationales qui s’appuient sur l’appétence de consommateurs pour les services qu’elles offrent ?
  • Comment taxer les acteurs du numérique [2] ? Quelles lois appliquer à des plates-formes qui bousculent les règles existantes [3] ou qui demandent à de nouveaux pans du droit (gestion des données personnelles…) de se mettre en place ?
  • Qui décide des formats et standards ?

Sur la scène internationale

En matière de SIAG, les États-Unis sont en tête avec des investissements à hauteur de 248,9 milliards de dollars US entre 2013 et 2022. Derrière eux la Chine (95,1 milliards), la Grande-Bretagne (18,2 milliards), Israël (10,8 milliards), le Canada (8,8 milliards), l’Inde (7,7 milliards), puis deux pays de l’Union européenne — l’Allemagne (7 milliards) et la France (en huitième position avec 6,6 milliards) [4].

Les principaux acteurs du développement de SIAG sont donc principalement étatsuniens, à l’instar d’OpenAI, dans lequel Microsoft a investi massivement à la suite des succès de ChatGPT et Dall.e. Encore une fois, un nombre restreint d’acteurs économiques se partagent la scène en matière d’IAG, majoritairement associés ou intégrés aux GAFAM. Globalement, le développement des SIAG ne remet pas en question le monopole des géants de la Tech comme Amazon, Microsoft et Google, qui bénéficient de leur position de principaux fournisseurs de cloud.

À l’échelle mondiale, le développement et la maîtrise des SIAG apparaissent surtout pour le moment comme un nouveau pan des rivalités entre Chine et États-Unis.

En France

En France, le développement des savoir-faire et de l’attractivité économique en matière de SIAG est devenu une priorité nationale. Des investissements (forum Vivatech) ont été annoncés dans le cadre du plan France 2030, qui vise à encourager la souveraineté technologique et numérique du pays. En mai 2024, un plan d’investissement de 400 millions d’euros a été annoncé pour permettre de former des experts en matière d’IA.

En octobre 2023, un comité d’experts sur l’IA a été nommé par le cabinet du Premier ministre, pour rédiger un rapport afin d’orienter les politiques publiques. Ce rapport, rendu public en mars 2024, propose 25 recommandations autour des thèmes « Dédiaboliser l’IA sans pour autant l’idéaliser » et « Humanisme, souveraineté, responsabilité : innovons, déployons et maîtrisons l’IA ». L’objectif de ce travail est de promouvoir le développement d’une IA au service des citoyens et des organisations, tout en encourageant la création d’une gouvernance mondiale sur ces questions.

Comme pour le numérique, des interrogations émergent concernant l’IA et ses applications

Les développements récents en matière de SIAG ont renforcé un certain nombre de questions qui se posaient déjà pour le numérique en général, tout en en amenant de nouvelles.

Des effets sur la créativité et la cognition

Les solutions d’IA générative sont souvent présentées par leurs concepteurs comme des outils favorisant la création. Une étude menée en 2024 par deux chercheurs en informatique de l’université de Boston vient nuancer cette lecture [5]. Grâce à l’étude de plus de 4,3 millions d’œuvres numériques mises en ligne sur une plate-forme de partage de contenus très fréquentée, les chercheurs ont comparé les œuvres générées par IA et celles créées par des humains. Ils en ont conclu que le recours aux IAG permet d’être plus productif, mais que ce gain s’accompagne d’une uniformisation des contenus et d’une perte d’originalité.

Une étude datée de 2011 [6] alerte également sur les effets de la délégation de tâches et notamment le risque « d’amnésie numérique » ou « effet Google ». Elle démontre que les individus ont tendance à ne pas mémoriser une information lorsqu’ils savent qu’elle est stockée quelque part et facilement accessible. Ils mémorisent plutôt le chemin d’accès à cette information. On peut parler d’une forme d’externalisation de la mémoire.

Par ailleurs, il reste difficile de savoir si la délégation de certaines tâches aux IA pourrait entraîner une perte de la faculté d’apprentissage ou au contraire permettrait aux individus de libérer leur puissance cognitive, alors consacrée à d’autres tâches.

Le tissu social affecté

Le risque de fracture numérique, déjà évoqué dans la fiche de 2021, risque de s’aggraver avec le développement des usages de l’IA générative. En effet, les publics moins sensibilisés aux possibilités proposées par les outils d’IA générative sont également plus vulnérables à ses mésusages.

En mai 2024, le site Internet NewsGuard recensait 840 sites d’actualité générés par l’IA dont le contenu n’était pas fiable. Par ailleurs, la désinformation en ligne pourrait s’intensifier avec l’utilisation de SIAG afin de produire du contenu en masse et personnalisé. Cela pourra passer par la création de deep fakes, des vidéos fabriquées de toutes pièces, ou la génération automatique de contenu personnalisé pour mieux tromper les cibles. Les nouvelles interfaces humain / machine bousculent le champ perceptif [7] des individus, et les personnes en situation d’illettrisme numérique sont les premières à en pâtir.

De plus, les SIAG ne sont pas des outils neutres, ils portent en eux la marque de ceux qui les ont conçus. Pareillement, les données qui les alimentent, la manière dont elles sont sélectionnées, structurées, traitées, reflètent les valeurs des sociétés dont elles émanent.

Si la transparence est l’une des exigences qui reviennent le plus souvent dans les débats sur l’encadrement des IA, le fonctionnement de ces systèmes reste opaque, même pour ceux qui les conçoivent, et peu de ressources sont disponibles pour aider les utilisateurs à vraiment comprendre comment ils fonctionnent.

Quelles limitations poser aux usages de l’IA ?

La possibilité de limiter le développement et les usages des SIAG est désormais évoquée dans les débats publics. L’Union européenne a légiféré à travers un règlement européen sur l’intelligence artificielle (IA), approuvé par le Parlement européen le 21 mai 2024. L’objectif affiché est de veiller à ce que les SIA et plus spécifiquement les SIAG respectent les droits fondamentaux, les principes éthiques et la sécurité des données.

Le volet consacré à l’intelligence artificielle, ou « AI Act », se fonde sur le principe d’une régulation « par les risques ». Il distingue trois catégories d’usages :

  • Des usages inacceptables car contraires aux valeurs européennes, comme la notation sociale ou de manipulation, etc. Ces usages sont proscrits.
  • Les systèmes d’IA à haut risque, qui sont soumis à des exigences en matière de qualité des données, de documentation, de traçabilité, de transparence, de contrôle humain, d’exactitude et de robustesse.
  • Pour les systèmes d’IA qui ne sont pas à haut risque, seules des obligations de transparence très limitée sont imposées.

Plus généralement, on a pu assister, depuis la fin 2022, à une multiplication d’initiatives internationales qui visent à accompagner le déploiement des SIAG à l’échelle mondiale :

  • L’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) a adopté en mars 2023 une recommandation portant sur un cadre éthique pour l’IA.
  • Un sommet mondial « AI for Good », organisé par l’Union internationale des télécommunications (UIT), s’est tenu à Genève en juillet 2023.
  • Les autorités nationales de protection des données des membres du G7 ont adopté une déclaration sur le « Processus d’Hiroshima » en juin 2023. Ce travail a permis d’identifier un socle éthique commun aux pays membres, mais a surtout mis en lumière les enjeux de leadership économique et d’influence culturelle et idéologique portés par l’IA.
  • Un conseil scientifique sur l’IA a été créé en octobre 2023 aux Nations unies.
  • Le sommet international de Bletchley Park sur la sûreté de l’IA s’est tenu au Royaume-Uni les 1er et 2 novembre 2023, à l’initiative du gouvernement britannique, impliquant 28 pays participants, des entreprises majeures (Google, OpenAI, X…), ainsi que des chercheurs et spécialistes de l’éthique. Un accord y a été signé pour identifier les « risques de sécurité de l’IA d’intérêt commun » et élaborer des « politiques respectives basées sur les risques dans les différents pays ». Une deuxième édition de ce sommet a eu lieu en mai 2024 à Séoul, aboutissant à une déclaration « pour une IA sûre, novatrice et inclusive ».

Cependant, si ces initiatives montrent bien que la communauté internationale a conscience des enjeux éthiques et sécuritaires qui découlent des SIAG, elles illustrent aussi un vide dans la coopération internationale en la matière.

Un fort impact environnemental

Par ailleurs, l’impact environnemental des SIAG interroge. En effet, l’entraînement de ces systèmes nécessite de grands volumes de données, qui s’avèrent particulièrement gourmands en ressources.

Le cycle de vie des infrastructures physiques nécessaires aux SIAG est caractérisé par un impact environnemental élevé à toutes ses étapes. Cet impact est d’autant plus important que la durée de vie des équipements est souvent brève.

Si les données précises illustrant ce point sont difficilement accessibles, les opérateurs ne communiquant pas à ce sujet, quelques exemples permettent de bien appréhender les ordres de grandeur évoqués ici :

  • Le superordinateur de Microsoft ayant permis d’entraîner ChatGPT est localisé à Des Moines (Iowa, États-Unis). Le fournisseur d’eau de la ville a estimé que la consommation d’eau du dispositif s’était élevée à 6 % des capacités hydriques de la ville en 2022 [8].
  • D’après une étude de chercheurs de l’université de Californie [9], un échange-type d’environ 20 à 50 questions-réponses avec ChatGPT nécessiterait la consommation d’un demi-litre d’eau. Cette même étude estime que d’ici 2027, l’utilisation de l’IA pourrait entraîner une consommation de 4,2 à 6,6 milliards de mètres cubes d’eau, équivalant à celle d’un pays développé d’une trentaine de millions d’habitants.
  • Dans son analyse prévisionnelle jusqu’en 2026 pour la consommation en électricité, l’Agence internationale de l’énergie [10] estime que les centres de données, les cryptomonnaies et l’IA consommeront environ 460 térawattheures d’électricité dans le monde en 2022, soit près de 2 % de la demande mondiale d’électricité. De plus, en comparant la demande moyenne d’électricité d’une recherche Google typique (0,3 wattheure d’électricité) au ChatGPT d’OpenAI (2,9 wattheures par requête), et en considérant neuf milliards de recherches par jour, cela nécessiterait près de 10 térawattheures d’électricité supplémentaire en un an.

Une ambivalence face aux risques technologiques

Par ailleurs, des risques technologiques se posent alors que l’usage des SIAG se démocratise. Comme évoqué dans la fiche consolidée en 2021, le Forum économique mondial identifiait trois risques technologiques liés au numérique [11] : les cyberattaques, les vols de données et la rupture d’infrastructures numériques.

Si les SIAG peuvent permettre de mieux lutter contre les cyberattaques, par exemple en améliorant les capacités de détection et de réponse, ils peuvent aussi devenir des outils pour les cyberattaquants. Dans un rapport publié en 2024, le centre d’intelligence de Microsoft [12] alerte contre les usages des SIAG à des fins criminelles, par exemple pour générer du contenu trompeur, améliorer des scripts ou faire de la reconnaissance avant une attaque.

Un potentiel d’innovations à venir

Le numérique est loin d’être au bout de ses capacités technologiques. Si la vitesse de ces évolutions peut être questionnée, le fait que ces capacités technologiques continueront à croître d’ici 2050 paraît constituer une tendance lourde.

Comme évoqué précédemment, l’impact économique et social du déploiement de l’IA fait l’objet de débats. Son impact sur l’emploi est encore incertain et il difficile de savoir si certains emplois seront rendus obsolètes par l’usage de SIAG. Cependant, dans le secteur de la construction, la tendance lourde initialement évoquée dans la note de 2021 semble se confirmer et les applications des SIAG paraissent prometteuses.

Ainsi, l’usage de SIAG dans le secteur de la construction pourrait se développer pour [13] :

  • La conception des projets, en la facilitant grâce à la multiplication des itérations sur la base de paramètres définis comme le budget, les risques, les attentes du client…
  • La gestion de projet, pour mieux affecter les ressources et gérer les risques, en réduisant les retards et les dépassements du budget.
  • Garantir la sécurité des sites et des personnes, à travers l’automatisation de la surveillance et une détection proactive des risques (par exemple à l’aide d’objets connectés comme des chaussures de chantier connectées), pour réduire le nombre d’accidents et assurer la conformité réglementaire.
  • L’efficacité logistique, en optimisant d’une part les chaînes d’approvisionnement et le suivi des matériaux, d’autre part les tâches et l’affectation de la main-d’œuvre.
  • La maintenance, en surveillant en continu l’état des bâtiments pour effectuer des maintenances prédictives.
  • Améliorer la durabilité du bâti, en utilisant les SIAG pour analyser l’efficacité énergétique, aider au choix de matériaux durables, se conformer aux réglementations applicables, réduire les empreintes carbone.
  • Automatiser certaines tâches répétitives ou dangereuses, par exemple en utilisant des drones pour inspecter les sites industriels [14] ou des zones en hauteur.

Quelles hypothèses à 2050 ?

Deux incertitudes clefs ont été identifiées en 2021 :

  • Quel impact des limites (gestion des données personnelles, impact environnemental, exclusion numérique, risques technologiques, sanitaires…) du numérique sur son déploiement ?
  • Comment seront finalement arbitrés les débats entre les acteurs du numérique et les autres acteurs ?

Ces incertitudes sont toujours d’actualité et les évolutions possibles qui en découlent identifiées en 2021 restent pertinentes. Elles conduisent à définir trois hypothèses dont le schéma ci-dessous indique le positionnement sur la carte des incertitudes.

Schéma synthétique

Les trois hypothèses se caractérisent comme suit :

En 2024, l’hypothèse tendancielle est toujours l’hypothèse du numérique triomphant.

  1. Benarousse Laurent et Chagnaud Alain, L’Impact de l’IA générative sur l’emploi en France, Roland Berger, 16 novembre 2023.

  2. Voir « Taxe sur les services numériques », Wikipédia. URL : https://fr.wikipedia.org/wiki/Taxe_GAFA. Consulté le 5 juillet 2024.

  3. Schmid Alexandre, « Uber en Allemagne, c’est fini ! », Clubic, 24 décembre 2019 ; et Cosnard Denis et Guillou Clément, « Airbnb : la Mairie de Paris offensive, les propriétaires attentistes », Le Monde, 8 juillet 2020.

  4. Villiers Claire, « Quels sont les pays où l’on investit le plus dans l’IA ? », Statista, 5 avril 2023. URL : https://fr.statista.com/infographie/29666/pays-avec-les-plus-grands-investissements-prives-dans-ia-entre-2013-et-2022/. Consulté le 17 juin 2024.

  5. Zhou Eric et Lee Dokyun, « Generative Artificial Intelligence, Human Creativity, and Art », PNAS [Proceedings of the National Academy of Sciences] Nexus, vol. 3, n° 3, mars 2024, pgae052.

  6. Sparrow Betsy, Liu Jenny et Wegner Daniel M., « Google Effects on Memory: Cognitive Consequences of Having Information at Our Fingertips », Science, vol. 333, n° 6043, 14 juillet 2011, p. 776-778.

  7. Lewandowsky Stephan, Ecker Ullrich K.H. et Cook John, « Beyond Misinformation: Understanding and Coping with the “Post-Truth” Era », Journal of Applied Research in Memory and Cognition, vol. 6, n° 4, décembre 2017, p. 353-369.

  8. Cheminat Jacques, « La consommation d’eau liée à l’IA générative inquiète », Le Monde informatique, 11 septembre 2023.

  9. Pengfei Li et alii, « Making AI Less “Thirsty”: Uncovering and Addressing the Secret Water Footprint of AI Models », ArXiv, 6 avril 2023 (29 octobre 2023).

  10. AIE, Electricity 2024: Analysis and Forecast to 2026, Paris : AIE, 2024.

  11. The Global Risks Report 2020: 15th Edition, Forum économique mondial, 2020.

  12. « Staying ahead of Threat Actors in the Age of AI », Microsoft Threat Intelligence, 14 février 2024.

  13. « Constructing Smarter: How AI is Transforming the Building Industry », Dataforest, 8 avril 2024 ; Mobiliser les données au service de l’IA et de l’innovation dans le secteur du bâtiment, FFB (Fédération française du bâtiment), juin 2023.

  14. Langlois Géraldine, « Drones et IA : la solution de deux start-up du Nord pour l’entretien des ponts », L’Usine digitale, 31 mars 2022.

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