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Notre Guerre

Le crime et l’oubli : pour une pensée stratégique

Analyse de livre

Le 24 février 2022, la Russie attaque l’Ukraine. Depuis ce jour, les bombes tombent sur cette ancienne république d’URSS, qui résiste avec l’aide partielle des démocraties occidentales. Pourtant, c’est bien leur avenir qui est en jeu, affirme Nicolas Tenzer, l’avenir de leurs fondements politiques, de leurs valeurs, de leur liberté.

Tenzer Nicolas, Notre Guerre. Le crime et l’oubli : pour une pensée stratégique, Paris : Éditions de l’Observatoire, janvier 2024, 608 p.

Selon lui, les démocraties occidentales paient aujourd’hui le prix de leur aveuglement et de leur incapacité à relier les événements entre eux : annexion de la Crimée par la Russie en 2014 en contradiction avec les engagements signés à Budapest en 1994 ; discours de Vladimir Poutine à la conférence de Munich en 2007 qui révèle son hostilité à l’égard de l’Occident ; guerre en Tchétchénie en 1999, intervention en Géorgie en 2008 en soutien aux groupes séparatistes, frappes russes en Syrie dès 2015 qui confirment son idéologie impérialiste et belliqueuse. Les gouvernements occidentaux ont manqué de lucidité quant à la nature du régime russe ; ils n’ont pas su voir que Vladimir Poutine mène en Ukraine une guerre totale, par les moyens qu’il déploie — militaires, économiques, cyber, informationnels et psychologiques — mais aussi par les objectifs qu’il poursuit : la destruction de l’ordre mondial, la remise en cause du droit international et de l’universalité des droits de l’homme. Et l’auteur de rappeler la pensée de Marc Bloch : « les capitulations réelles se préparent par des défaites intellectuelles ».

Dans Notre Guerre, Nicolas Tenzer, philosophe mais aussi expert des questions stratégiques, cherche à comprendre les raisons d’une telle cécité de l’Occident, et souligne les fautes morales et les erreurs stratégiques dont ses gouvernements sont coupables. Face au régime poutinien, qu’il décrypte sous l’angle tant politique qu’idéologique, une seule issue pour les démocraties occidentales : défendre leurs valeurs avec détermination, rétablir l’application du droit international, renforcer leurs alliances, et obtenir une défaite radicale de la Russie.

Concernant la Russie, les Européens se sont toujours accrochés à quelques idées fausses : le réalisme — que l’auteur qualifie de « pseudo-réalisme » — consisterait à considérer la Russie comme un mal nécessaire pour garantir la stabilité internationale, un partenaire de sécurité, incontournable dans la lutte contre le terrorisme ; en vertu d’un soi-disant déterminisme historique, d’un essentialisme culturel, qui conduit à confondre État et régime, la Russie serait à jamais autocratique ; suivant un raisonnement contraire au précédent, la libéralisation de l’économie conduirait inévitablement à une libéralisation politique ; la défense de l’intérêt national, appréhendé ici dans le court terme, plaiderait en faveur de négociations avec l’agresseur ; le régime russe serait une dictature « comme une autre »…

Par ailleurs, les démocraties occidentales ont refusé de voir la réalité du système « poutinien », un système tripartite où pouvoir, crime organisé et corruption sont étroitement imbriqués. Or, cette corruption aussi bien interne que transnationale est un moyen imparable pour dév...