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No Carbon

Apprivoiser nos contraintes pour garantir notre avenir

Analyse de livre

Fanny Parise est anthropologue, spécialiste des modes de vie et de la consommation responsable. Dans cet ouvrage, elle propose de mobiliser l’approche anthropologique pour analyser la crise écologique et l’incapacité des sociétés occidentales à y répondre. Cette lecture lui permet aussi de proposer un nouveau modèle, le tabou carbonique, comme réponse à cette crise.

Parise Fanny, No Carbon. Apprivoiser nos contraintes pour garantir notre avenir, Paris : Payot, octobre 2023, 448 p.

Dans la première partie de l’ouvrage, l’autrice introduit quelques concepts anthropologiques phares qui permettent, selon elle, de mieux comprendre l’ampleur de la crise socio-écologique actuelle. Elle rappelle tout d’abord que les fondements mêmes du modèle de société occidentale et thermo-industrielle sont remis en cause par les dégradations climatiques et environnementales.

La transition socio-écologique supposera de repenser en profondeur les systèmes sociotechniques, du point de vue aussi bien des infrastructures que des modes de vie. Or, dans ce domaine, tout reste à faire selon Fanny Parise, qui s’appuie sur l’étude d’une diversité d’analyses (d’économistes, d’anthropologues, de psychiatres…) pour affirmer que la transition n’a pas encore commencé.

Pour concevoir un futur agréable sans carbone, elle considère qu’il est indispensable de repenser la place des contraintes. En anthropologie, une contrainte est « une force sociale, culturelle ou institutionnelle qui limite ou détermine les comportements, les croyances et les choix d’un individu ou d’un groupe, souvent de manière implicite ou non reconnue ». Les normes correspondent à des contraintes qui ont été institutionnalisées et intégrées dans les pratiques courantes.

Or, selon Fanny Parise, les sociétés occidentales sont désormais paralysées par l’accumulation de contraintes instaurées par le système capitaliste, afin de s’adapter à d’autres contraintes, celles liées au changement climatique et aux dégradations environnementales. Ces contraintes capitalistes se révèlent de fait à la fois insuffisantes pour faire face aux enjeux écologiques, et incapables d’embarquer les acteurs en termes de valeurs et d’imaginaires. Elles finissent par entraîner des contradictions et des pressions intenables pour les individus.

Pour dépasser cette situation de blocage, la deuxième partie de l’ouvrage présente le principe et le potentiel du tabou carbonique. L’autrice identifie tout d’abord trois scénarios de réactions possibles face à l’urgence écologique :

  • l’effondrement des systèmes économiques, sociaux et politiques en réponse à leur incapacité à intégrer les contraintes environnementales ;
  • le délitement, correspondant à un affaiblissement progressif des structures sociales et à une aggravation des inégalités ;
  • la cohabitation des solutions et des contraintes selon les territoires, les secteurs, les populations…

Sans surprise, elle estime que seul le troisième scénario est souhaitable. Or, il impliquerait de passer d’une société dans laquelle la contrainte environnementale est subie à une société dans laquelle elle est au contraire acceptée et valorisée comme nouveau fondement des systèmes collectifs. C’est l’objectif du tabou carbonique, présenté comme une « transformation anthropologique profonde », nécessaire pour éviter les scénarios d’effondrement et de délitement. Ce tabou consisterait en une nouvelle norme culturelle se traduisant par la condamnation (y compris morale) des comportements néfastes pour l’environnement. Il p...