Revue

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Main-d’œuvre du bâtiment

L’ADEME (Agence de la transition écologique) et le CSTB (Centre scientifique et technique du bâtiment) ont conduit en 2020 une démarche de prospective intitulée « Imaginons ensemble les bâtiments de demain ». Cette réflexion a abouti à un ensemble de matériaux accessible sur le site dédié, dont quatre scénarios à l’horizon 2050 et 22 fiches variables. Ces dernières sont réactualisées et publiées, chaque mois, sous forme de Repères sur le site de Futuribles.

Synthèse

  • La structure de l’emploi dans le bâtiment change peu : des emplois essentiellement ouvriers et une très faible féminisation.
  • Les tensions de recrutement se confirment. Elles concernent une large palette de métiers.
  • L’apprentissage se développe, sous l’effet de politiques d’appui volontaristes. Garder les apprentis dans la filière après leur formation reste encore cependant un défi pour la filière.
  • L’émergence de nouveaux métiers autour du numérique, de l’énergie, de l’économie circulaire ou de la construction hors site, se confirme.
  • Les chiffrages récents confirment un besoin très important de main-d’œuvre pour la rénovation du parc à un niveau compatible avec les objectifs climatiques français (près d’un doublement des ETP [équivalents temps plein] à 2030).
  • Du fait de la conjoncture de baisse de l’activité en construction neuve, l’incertitude concernant le fait que le secteur réussisse à attirer suffisamment de main-d’œuvre se complexifie : quelle sera la capacité du secteur à trouver dans la rénovation un relais pour la main-d’œuvre affectée à très court terme par la chute conjoncturelle du marché neuf ?

Pourquoi est-ce important pour le bâtiment et l’immobilier ?

La main-d’œuvre du bâtiment et l’évolution des modes constructifs sont en interaction, en effet, la quantité, les compétences et la capacité d’évolution de la main-d’œuvre conditionnent la capacité des filières à s’adapter aux évolutions à venir (rénovation énergétique, réglementations sur le neuf, adaptation au changement climatique, numérique…). Et l’évolution de la filière contraindra l’évolution des métiers.

Rétrospective

En 2020…

En 2020, l’analyse rétrospective que nous faisions de la gestion de l’obsolescence, dans le cadre de l’étude prospective Imaginons ensemble les bâtiments de demain, faisait apparaître les points suivants :

  • Le secteur du BTP (bâtiment-travaux publics) fait travailler plus de 1,5 million de personnes, majoritairement des ouvriers. En 10 ans, le secteur a perdu pratiquement 250 000 emplois, sans doute en lien avec l’essor du travail détaché, même si cette tendance reste mal documentée.
  • Il est confronté à un double enjeu d’attractivité de ses métiers et de fidélisation de ses travailleurs. Avant 2020, 70 % des recrutements dans le secteur de la construction étaient considérés comme difficiles. Et le secteur est dans une situation de plein emploi.
  • Ce défi est notamment lié à la pénibilité physique d’une part importante des métiers du bâtiment.
  • Les recrutements de travailleurs étrangers sont rendus plus complexes par les réglementations.
  • Le nombre de formations en lien avec les métiers du BTP (initiales ou continues) est globalement stable, en décalage avec les besoins croissants du secteur.
  • De nombreuses réglementations et actions publiques, motivées par des enjeux environnementaux, vont entraîner des mutations importantes des pratiques de construction et de rénovation.

Mise à jour 2024

Une structure de l’emploi qui change peu

Les dernières données de l’Observatoire des métiers du BTP, portant sur l’année 2021, confirment l’analyse faite en 2020 : 1,2 million de salariés travaillaient en 2021 dans le secteur du bâtiment (1,5 million si on inclut les travaux publics), auxquels s’ajoutent 110 000 intérimaires. Le secteur du BTP a recours à une part importante de travailleurs immigrés (300 000). Ses emplois sont toujours essentiellement ouvriers (67 %) et très peu féminisés (12,3 %).

Répartition des salariés du BTP par âge et par sexe (2021)

Les tensions de recrutement se confirment

Les tensions de recrutement continuent de s’accentuer :

  • Le turn-over du secteur est de 17,8 %, alors que le taux moyen tous secteurs est de 15 %.
  • 79 % des recrutements sont considérés comme difficiles dans les métiers de production, au-dessus de la moyenne nationale tous secteurs qui s’établit à 61 % [1]. En 2022, les difficultés de recrutement continuaient de concerner une large palette de métiers du bâtiment. Selon une enquête de Pôle emploi et du CRÉDOC (Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie), 70 % des recrutements d’ouvriers non qualifiés du second œuvre du bâtiment étaient considérés comme difficiles, 73 % pour les ouvriers non qualifiés du gros œuvre, le taux montant à 90 % pour les couvreurs [2].

Les projets de recrutement dans les principaux métiers de l’économie verte en 2022

N.B. : les métiers sont décrits à partir de la nomenclature des familles professionnelles (FAP).
Champ : le périmètre de l’enquête Besoins en main-d’œuvre (BMO) du CRÉDOC / Pôle emploi porte sur 200 FAP (sur 225) ; France entière.
Source :
SDES, op. cit.

Une augmentation du nombre d’apprentis

Du côté de la formation initiale, on observe une augmentation importante du nombre d’apprentis dans le secteur, qui est passé de 60 000 en 2017 à plus de 100 000 en 2022, sous l’effet notamment de politiques publiques incitatives (prorogation de l’aide unique au recrutement d’apprentis jusqu’en 2027). En 2021, l’apprentissage concernait 58 % des jeunes en formation initiale dans les métiers du bâtiment (pour un total de 135 000). On peut y ajouter 5 500 contrats de professionnalisation.

Ces chiffres sont insuffisants pour compenser les départs, les besoins non satisfaits étant estimés à 47 900 en production dans les cinq prochaines années.

Les enquêtes menées par le CCCA-BTP (Comité de concertation et de coordination de l’apprentissage du bâtiment et des travaux publics) en 2022 montrent un bon taux de satisfaction des apprentis vis-à-vis de leur formation (89 % affirmant qu’elle a répondu à leurs attentes, et 90 % d’entre eux se déclarant satisfaits de leur entreprise) [3]. Garder les apprentis dans la filière après leur formation reste encore cependant un défi : une enquête menée en 2023 par l’Observatoire des métiers du BTP montrait ainsi que 24 mois après la fin de leur contrat, 16 % des apprentis avaient changé de filière. Les femmes sont surreprésentées parmi ces sortants [4].

L’émergence de nouveaux métiers se confirme

L’émergence de nouveaux métiers autour du numérique, de l’énergie, de l’économie circulaire ou de la construction hors site, se confirme. En 2023, France Compétences retient ainsi sept métiers en émergence dont quatre correspondent à de nouveaux enjeux du BTP [5] :

  • ouvrier de la construction modulaire hors site,
  • expert en digitalisation et exploitation des bâtiments,
  • technicien valoriste du réemploi,
  • contrôleur technique qualité des installations et équipements des énergies décarbonées.

Nouveaux métiers apparus ces dernières années par type d’expertise

BIM : Building Information Modeling / modélisation des informations du bâtiment.
Source :
France Compétences (2023) cité in Parelle Amaury et alii, Build Up Skills 2. Transition écologique du bâtiment : diagnostic des besoins en emplois, métiers et compétences jusqu’en 2030, ADEME, 2023, p. 125.

Quel impact de la baisse conjoncturelle de la construction neuve ? Quel relais possible par la rénovation et à quelle échéance ?

La principale évolution récente concerne la conjoncture économique actuelle du secteur et ses répercussions possibles sur l’emploi d’ici deux ans. L’augmentation des taux d’intérêt, des coûts de l’énergie et des matières premières a pour conséquences une chute des ventes et un fort ralentissement des projets de construction neuve. Cette conjoncture amène la Fédération française du bâtiment (FFB) à annoncer une destruction de 100 000 emplois dans le secteur d’ici fin 2024.

Nombre de logements cumulés sur 12 mois, 2015-2024 (en milliers)

Source : StatInfo Logement, n° 623, mars 2024. URL : https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/publicationweb/623. Consulté le 27 mars 2024.

Si la conjoncture actuelle peut permettre de prévoir une baisse des recrutements dans les prochaines années, en se projetant à moyen-long terme, on peut anticiper un report de l’activité du neuf vers la rénovation. Des facteurs démographiques (cf. fiche Démographie) et de politique environnementale devraient conduire à un ralentissement de la construction neuve et à une accélération de la rénovation : vieillissement de la population, lutte contre l’artificialisation des sols, politique de rénovation énergétique des bâtiments.

La question d’une compensation de ces pertes par un regain d’activité dans la rénovation se pose donc. Cependant, le rythme et le volume de rénovation, notamment de logements, sont difficiles à anticiper en raison d’une dépendance aux politiques d’aides publiques qui peinent à se stabiliser (cf. modification des règles du DPE [diagnostic de performance énergétique], réduction des budgets prévus pour « MaPrimeRénov’ »).

Ces dernières années ont vu la mise à jour de plusieurs chiffrages concernant les besoins en ETP pour la rénovation énergétique dans des scénarios de transition volontaristes (i.e. alignés avec les objectifs de neutralité carbone à 2050). Différentes estimations des besoins en emplois d’ici 2030 ont été produites :

  • négaWatt en 2022 sur la base du scénario négaWatt 2022 ;
  • France Stratégie en 2023 avec une estimation sur la base du scénario bas-carbone Métiers 2030 produit en 2022 (avec la DARES / Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques) ;
  • l’ADEME dans le cadre du projet Build Up Skills 2.

Ces scénarios sont relativement convergents, avec un besoin supplémentaire d’emplois estimé entre 170 000 et 250 000 par rapport à aujourd’hui (soit le double des ETP actuels). La rénovation énergétique des logements est le segment du bâtiment qui pourvoirait le plus d’emplois directs d’ici 2030 (plus que la construction et la rénovation du tertiaire).

Le SGPE (Secrétariat général à la planification écologique) estime qu’entre 2022 et 2027, la construction neuve perdrait 115 000 emplois et la rénovation en gagnerait 100 000, et 110 000 travailleurs quitteraient définitivement le secteur.

Flux de main-d’œuvre anticipés par le SGPE dans le secteur du bâtiment d’ici 2027

Source : Stratégie emplois et compétences pour la planification écologique, SGPE, février 2024. URL : https://www.gouvernement.fr/upload/media/content/0001/08/b39c3783c75b547f270ece5b182cb5bf92c7a53e.pdf. Consulté le 27 mars 2024.

Quelles hypothèses à 2050 ?

L’analyse menée en 2020 avait débouché sur l’identification de deux questions clefs, conduisant à trois grandes hypothèses sur l’évolution de la main-d’œuvre dans le bâtiment :

  • Incertitude 1. Le secteur réussira-t-il à attirer suffisamment de main-d’œuvre par rapport à ses besoins ? La principale question reste celle de l’amélioration des conditions de travail qui doit permettre au secteur de résoudre ses problématiques de ressources humaines : attractivité et féminisation, capacité à maintenir en activité une population majoritairement ouvrière dont la moyenne d’âge est de 39,5 ans. Les évolutions récentes viennent ajouter une dimension supplémentaire à cette question : quelle sera la capacité du secteur à trouver dans la rénovation un relais pour la main-d’œuvre affectée à très court terme par la chute conjoncturelle du marché neuf ? La description des hypothèses ci-dessous a été complétée dans ce sens. La capacité du secteur à faire évoluer les modes de travail sera donc déterminante. En ce sens, le développement de la construction hors site offre de nombreux avantages, notamment un lieu de travail fixe et abrité.
  • Incertitude 2. Quel sera le niveau de qualification atteint par cette main-d’œuvre ?

Hypothèses prospectives à l’horizon 2050

À partir de ces deux incertitudes, trois hypothèses contrastées ont été identifiées en 2020. L’hypothèse tendancielle retenue, Polarisation du marché du travail, apparaît toujours pertinente au regard des évolutions récentes.

Schéma synthétique (hypothèses)

Les trois hypothèses se définissent ainsi :

Schéma synthétique (scénarios)

BIM : Building Information Modeling / modélisation des informations du bâtiment ; CAO : conception assistée par ordinateur ; HQE : haute qualité environnementale.

  1. Selon les Tableaux de bord emploi formation de l’Observatoire des métiers du BTP.

  2. « Des difficultés de recrutement persistent en 2022 dans le secteur de l’économie verte », SDES (Service données et études statistiques du ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires), 12 décembre 2023.

  3. Voir « Apprentissage dans le BTP. Les enquêtes ». URL : https://reperes.apprentissage-btp.com/publications. Consulté le 27 mars 2024.

  4. « Apprentissage : ce que révèlent les choix des jeunes en formation dans le BTP », BâtiActu, 5 mars 2024. URL : https://www.batiactu.com/edito/apprentissage-ce-que-revelent-choix-jeunes-formation-68043.php. Consulté le 27 mars 2024.

  5. Garcia David, « France compétences retient sept nouveaux métiers émergents pour 2023 », Centre Inffo, 18 janvier 2023. URL : https://www.centre-inffo.fr/site-centre-inffo/actualites-centre-inffo/le-quotidien-de-la-formation-actualite-formation-professionnelle-apprentissage/articles-2023/france-competences-retient-sept-nouveaux-metiers-emergents-pour-2023. Consulté le 27 mars 2024.

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