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Mafias, organisations criminelles et trafics de stupéfiants en Europe

État des lieux et perspectives / interview

en
Différents événements et faits divers relevés dans les médias (mise en avant du poids et de la corruption croissante des organisations criminelles en Belgique et aux Pays-Bas, annonce du gouvernement français d’un renforcement des douanes pour faire face à l’infiltration croissante des ports français par les mafias de la drogue, multiplication des règlements de comptes dans le sud de la France…) tendent à montrer que les mafias occupent un terrain de plus en plus large en Europe, et plus seulement en Italie. Ces traitements médiatiques sont-ils proportionnés à la réalité ? Le poids et l’influence des organisations criminelles sur les institutions légales sont-ils en augmentation ? Et quels seraient les risques de voir cette tendance s’accentuer ? Pour éclairer ces questions, Marie Ségur a interviewé Clotilde Champeyrache, spécialiste de ces problématiques au Conservatoire national des arts et métiers.

Existe-t-il des signaux récents indiquant une croissance de la criminalité liée aux trafics de stupéfiants en Europe ?

C.C. : Oui, on observe un essor du trafic de stupéfiants sur le continent européen [1], comme partout ailleurs dans le monde. Il y a à cela plusieurs raisons :

L’économie libérale mondialisée a été un facteur facilitant du trafic de drogues et de médicaments contrefaits, grâce à l’augmentation des flux de marchandises permettant de déplacer des volumes de produits plus importants, mais aussi parce que les logiques de rendement ont pris le dessus sur les politiques de sécurité. Le rapport économique de l’autorité portuaire de Rotterdam, en 2021, en donne un parfait exemple. L’autorité portuaire tend à s’y défausser de sa responsabilité vis-à-vis des activités criminelles qui peuvent se dérouler dans le port : « faire face au crime est un défi auquel est confrontée la société dans son ensemble et qui ne relève pas, au sens strict, de la responsabilité de l’autorité portuaire de Rotterdam [2] ». Dans ce rapport, le port défend sa compétitivité en mettant en avant la massification des flux, avec une cadence d’un container pris en charge toutes les six secondes en moyenne. Ralentir cette cadence pour des contrôles, ce serait risquer de perdre de l’argent et des clients au profit d’autres ports. La réaction des responsables du port est tout à fait révélatrice de l’attitude de certains acteurs de l’économie légale qui ne respectent la loi que selon un calcul coût-bénéfice dans lequel est évalué, en priorité, l’intérêt financier à frauder ou à se conformer à la règle, bien plus que des questions morales. Plus généralement, on peut dire que le rapport à la loi et à l’éthique s’effrite dans les sociétés européennes. C’est particulièrement vrai en France où, à l’échelle individuelle, on voit augmenter, par exemple, les refus d’obtempérer.

• Cette croissance du trafic de stupéfiants s’explique, en parallèle, par une diversification et une banalisation des usages — certains consommateurs, par exemple, prennent de la cocaïne pour tenir les rythmes de travail — ; ainsi que par la diversification de l’offre elle-même et sa plus grande accessibilité, avec une pluralité de produits permettant de s’adapter aux ruptures d’approvisionnement et au profil des usagers (plus ou moins jeunes, plus ou moins aisés financièrement) ; et sans doute aussi par l’enracinement d’un certain mal-être social dans les sociétés européennes expli...