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L'innovation contingente. Deux sagas : Zodiac et Salomon

DEROY Xavier, « L’innovation contingente. Deux sagas : Zodiac et Salomon », Futuribles International / Commissariat général du Plan / DATAR / LIPSOR, TRP, 22, juin 2004, 80 p.

Comment innover ? L’innovation, cette faculté tant recherchée de nos jours par les organisations, peut-elle résulter de la simple application de pratiques prédéfinies ? Quelle part est laissée au hasard ?

Schématiquement, deux courants s’affrontent dans ce grand débat. Le premier prône que l’innovation réussie résulte de l’application de facteurs-clés de succès ; une fois identifiés, ces facteurs apportent ainsi une sorte de « garantie » de succès à l’organisation. A contrario, le second courant soutient que l’approche « rationnelle », résultante d’une analyse ex post par trop réductrice, sous-estime grandement la complexité du processus. Il rend alors hommage à la singularité des histoires de l’innovation, singularité qui constitue une représentation de la contingence.

L’auteur nous montre, principalement à travers les cas des entreprises Zodiac et Salomon, mais aussi Tefal ou Sony, comment se sont liées, concrètement et sur plusieurs décennies, innovation et réussite durable. Ces histoires servent ensuite à éclairer une relecture critique des principales théories de l’innovation.

Plusieurs leçons peuvent être tirées de ces travaux. Tout d’abord, ne jamais oublier le rôle de l’homme ; l’innovation réellement déterminante, celle sur laquelle se base l’avantage compétitif durable, prend sa source en dehors des sentiers battus, dans des « lieux » où l’homme est privilégié par rapport à l’organisation et où de réels risques peuvent être pris. Certaines grandes entreprises l’ont bien compris, qui reposent sur de petites structures « molles » pour acquérir des innovations de rupture, alors qu’elles ne sont capables de générer en leur sein, au mieux, que des innovations incrémentales, « tendancielles ». Cette posture rejoint celle de l’attitude prospective, souhaitée par Gaston Berger : outre « voir loin, large et profond », il s’agit aussi, et sûrement avant tout, de « penser à l’homme » et de savoir « prendre des risques ». En définitive, Schumpeter avait raison, lui qui pensait que l’innovation résulte essentiellement de la capacité de l’homme à anticiper et à provoquer le changement (agir) face à l’incertitude, lui conférant ainsi un rôle purement politique de « héros » de la société.

Ensuite, prendre garde aux effets pervers liés à l’abus de rationalité procédurale. La généralisation de la mise en œuvre de l’innovation par le biais de routines, alliant procédures et contrôle des procédures, est le fruit de situations oligopolistiques. Elle répond à un pur souhait de rentabilité, propre au registre du court terme, et permet d’entretenir savamment la confusion entre efficacité financière et efficacité sociale.

Enfin, méditer sur le rôle de la conception, puis sur le rôle de la prospective dans la conception, en tant que fonction première de l’innovation ; car, enfin, innover, c’est avant tout concevoir. Mais concevoir revient aujourd’hui surtout à prévoir. Et prévision n’est pas prospective.