Revue

Revue

Le Sahel à l’ère des recompositions géopolitiques

Interview

Avec les putschs intervenus au Niger et au Gabon cet été, l’Afrique de l’Ouest aura connu cinq coups d’État militaires au cours des deux dernières années. Conjuguées avec l’élimination récente d’Evgueni Prigojine, patron du groupe Wagner et partenaire de plusieurs des régimes de la région, ces ruptures s’inscrivent dans un vaste mouvement de recomposition géopolitique dont les implications sont encore difficiles à discerner précisément, notamment du point de vue sécuritaire. Futuribles a publié en juin 2023 une Analyse prospective des enjeux géostratégiques au Sahel — qui évoquait d’ailleurs le risque de coup d’État au Niger. Son auteur, Thierry Hommel, répond pour Futuribles aux questions de Morgan Paglia sur les événements survenus pendant l’été 2023.

Le retour des militaires au pouvoir semble être devenue la norme ces temps-ci en Afrique de l’Ouest, est-ce qu’il faut craindre une contagion à d’autres pays de la région (Nigeria, Sénégal, Mauritanie etc.) ?

T.H. : Effectivement, il y a eu des coups d’État — ou des tentatives — dans beaucoup de pays de la région. Qu’il s’agisse du Tchad, du Mali, du Burkina Faso, de la Guinée, du Niger, la tendance à l’instabilité est générale… La crise cyclique des matières premières, la pandémie de la Covid-19 et les impacts de la guerre en Ukraine ont fragilisé les États africains de façon générale. Des pays, comme le Togo, caractérisés par des régimes politiques structurés autour d’économies extractives, peuvent toujours s’effondrer ou se transformer, comme en atteste la situation vécue par le Gabon en Afrique centrale. La Mauritanie a connu une révolution de palais. Et si des élections continuent pour l’instant de jalonner les vies politiques ivoirienne et sénégalaise, ces deux pays vivent aussi une instabilité accrue. Au Sénégal, les soubresauts d’Ousmane Sonko ont amené des jeunes à sortir dans la rue. En Côte-d’Ivoire, l’imbroglio du troisième mandat du président Alassane Ouattara inquiète. Alassane Ouattara ne devait pas se représenter mais le décès, en 2020, d’Amadou Gon Coulibaly, Premier ministre et candidat de son parti, l’ont conduit à faire un mandat de plus. Espérons que ce ne soit pas celui de trop. Pour la France il s’agit d’un pays encore important, sur le plan tant économique que militaire : l’Hexagone n’avait pas hésité à s’opposer à Laurent Gbagbo, franchement panafricain et peu attaché au franc CFA après 2011. S’il doit y avoir des opérations de déstabilisation russes en Afrique de l’Ouest, la Côte-d’Ivoire est un pays stratégique.

Je suis moins inquiet pour le Nigeria. C’est un géant, un pays côtier, le plus grand pays de la Communauté. Bien sûr, il a ses problèmes de corruption, une présence de l’État fédéral souvent invisible, il a connu ses putschs militaires, ses guerres internes (Biafra), il est victime du terrorisme dans sa région nord, des conflits persistants dans le delta, mais il me semble « too big to fail ». L’armée, qui n’y fait pas preuve d’efficacité en matière de lutte contre le terrorisme, semble avoir pris une tournure républicaine.

Voir aussi
...