Revue

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Le poids des dépenses contraintes se stabilise

La part des dépenses contraintes [1] dans le revenu des ménages est passée de 12 % au début des années 1960 à 28 % en 2022, selon l’INSEE. La progression est considérable. Ces dépenses comprennent les frais de logement, les assurances et services financiers, les dépenses de télécommunication et télévision, ainsi que les frais de cantine scolaire. La hausse a surtout eu lieu des années 1960 jusqu’au milieu des années 1980 : le taux est alors multiplié par plus de deux — de 12 % à 26 % — entre 1959 et 1985. Il est relativement stable depuis plus de 10 ans maintenant.

Part des dépenses préengagées dans le revenu des ménages (en %)

Source : INSEE.

Le niveau de vie a nettement augmenté en France jusqu’aux années 2000. Le niveau de vie médian a été multiplié par deux depuis les années 1970, une fois l’inflation déduite. Une partie de cette hausse a été grignotée par des postes de dépenses que l’on ne peut guère modifier. Elles sont contraintes mais pas sans utilité : elles financent l’accès à des biens et services qui améliorent le quotidien : les logements sont de meilleure qualité, on est mieux couvert par des assurances, on peut communiquer partout à tout moment (téléphone mobile), etc.

Détail des dépenses préengagées dans le revenu des ménages (en %)

Source : INSEE.

Parmi les dépenses contraintes, c’est essentiellement le logement qui pèse sur le pouvoir d’achat. La part des assurances (automobile, responsabilité civile, etc.) a triplé entre le milieu des années 1960 et la fin des années 1980, de 2 % à 6 % des revenus, puis elle est revenue à 3 %. Celle de la télévision et des télécoms s’est accrue jusqu’à 3 % au début des années 2000, mais est retombée à 2 % en 2019 avec l’effet de la baisse du coût des forfaits de téléphonie mobile. En revanche, les dépenses de logement n’ont quasiment jamais cessé de s’élever jusqu’au début des années 2010, de 9 % à 23 % du budget des ménages, du fait de la hausse des loyers, mais aussi de celle du prix de l’électricité, du gaz et de l’ensemble des autres charges liées à l’habitation. Cette progression correspond pour partie à une amélioration de l’habitat (donc un effet de qualité), mais aussi à un enrichissement des bailleurs : à qualité équivalente, les loyers ont augmenté [2]. Une partie de l’élévation des revenus a ainsi été absorbée par le coût du logement. Dans de nombreux cas, il s’agit au fond d’un transfert de richesse venant de jeunes ménages locataires vers des bailleurs plus âgés.

La hausse des dépenses contraintes n’a pas le même effet selon le niveau de vie. Pour les 20 % du bas de l’échelle des revenus, ces dépenses représentent près du tiers de leur revenu, contre moins d’un cinquième pour les 20 % les plus riches, selon une étude de l’INSEE (données 2017, les dernières disponibles). L’ampleur de cet écart est essentiellement liée aux dépenses de logement. Et encore, les 20 % les plus modestes constituent une population très large. Pour les plus démunis d’entre eux, la part du budget contraint, notamment le loyer, est bien plus élevée et pour certains, ce qu’il reste à la fin du mois est quasiment nul. L’effet est encore renforcé chez les jeunes qui vivent dans les grandes métropoles — notamment à Paris — qui subissent des coûts de logement très supérieurs à la moyenne.

Dans les années récentes, la part des dépenses contraintes a légèrement diminué, de 29,8 % en 2013 à 28 % en 2022. Elle a augmenté au même rythme que celui des revenus, et même, pour le logement, un peu moins vite. Assiste-t-on à un plafonnement durable de ce type de dépenses ? Il faut tout de même noter que la fin de mécanismes qui empêchaient les hausses de tarif du gaz et de l’électricité ont joué jusqu’en 2022. La situation devrait être différente à partir de 2024, et à plus long terme avec une hausse probable du prix de l’énergie. Par ailleurs, le taux global de dépenses contraintes dans le revenu des ménages constitue une moyenne : il est possible que la situation se soit améliorée pour certains et dégradée pour d’autres— ce que les données de l’INSEE ne permettent pas de savoir.

L’essentiel de l’évolution future des dépenses contraintes est lié à celle des loyers et des prix du logement : sauf à envisager un changement radical de politique publique, avec un soutien plus important au logement social et un encadrement bien plus strict des prix, les dépenses contraintes vont continuer à peser très — trop — lourdement dans le budget des ménages dans les années qui viennent.

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Source : cette note est issue d’un partenariat avec le Centre d’observation de la société.

  1. L’INSEE (Institut de la statistique et des études économiques) utilise l’expression « dépenses préengagées » car d’autres dépenses sont contraintes : on ne peut pas non plus éviter de s’alimenter, de se vêtir, de se soigner…

  2. Accardo Jérôme et Billot Sylvain, « Plus d’épargne chez les plus aisés, plus de dépenses contraintes chez les plus modestes », INSEE Première, n° 1815, septembre 2020.

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