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L’alimentation du futur viendra-t-elle de l’espace ?

Interview

en
Grégory Navarro est ingénieur au CNES (Centre national d’études spatiales), responsable au sein de Spaceship France du développement des habitats spatiaux et des systèmes de support vie. L’ambition du réseau Spaceship, initié par l’Agence spatiale européenne (ESA) en 2012 et décliné depuis 2018 en France, est de contribuer à la recherche et au développement d’une partie des technologies qui ont été identifiées comme clefs pour l’établissement de bases permanentes sur la Lune puis sur Mars. Quentin Bisalli l’a interrogé, pour Futuribles, sur les innovations expérimentées en matière agroalimentaire dans le cadre des voyages spatiaux et de leur préparation.

Comment nourrit-on aujourd’hui les astronautes ?

G.N. : Au niveau de la Station spatiale internationale (ISS), la totalité de la nourriture consommée est envoyée depuis la Terre. Les ravitaillements sont l’occasion pour les astronautes de profiter de nourriture fraîche, mais autrement ils consomment principalement des aliments lyophilisés. Quelques expérimentations de culture in situ ont lieu avec le programme Veggie, mais la production est surtout destinée à un usage scientifique.

Or, ce qui marche pour l’ISS n’est pas valable pour les missions plus longues, lunaires et martiennes notamment, où l’idée est de minimiser le poids envoyé. Il devient donc nécessaire de produire une partie de ce qui est consommé : l’objectif à terme est de couvrir 50 % des besoins caloriques par de la production locale.

Pour cela, plusieurs voies sont explorées au sein de Spaceship France et ailleurs, en partenariat avec des laboratoires, des entreprises, des associations, le monde universitaire, etc., à la fois pour produire, pour transformer et pour mieux conserver la nourriture dans l’espace, en vol puis sur place dans le cadre des futures missions lunaires et martiennes.

Justement, quelles sont les principales pistes étudiées ?

G.N. : Pour la production de végétaux, deux voies sont étudiées au sein de Spaceship :

  • La culture hydroponique, que nous travaillons en partenariat avec la start-up Orius : l’idée est de produire, dans des chambres de culture aux conditions très maîtrisées, des plantes maraîchères, des racines, des champignons, etc.
  • La culture sous serre dans des conditions dégradées, travaillée par Timac Agro, avec qui le CNES a récemment noué un partenariat. Cette entreprise a développé une expertise très poussée du réseau racinaire et des interactions avec le biotope, ce qui lui permet d’optimiser très finement les apports d’intrants. Pour la partie spatiale, l’idée ici est proche de ce que l’on peut voir dans le film Seul sur Mars [1] : comment, à partir de conditions peu optimales, peut-on arriver à cultiver des plantes ? Mars ne dispose que de régolithe — sur Terre c’est la partie entre le sol cultivable et la roche mère —, qui n’est pas idéal pour les plantes : le régolithe est acide et riche en oxydes métalliques, mais dans le même temps il offre un bon support pour le système racinaire. L’ESA et la NASA (National Aeronautics and Space Administration) sont engagées sur des projets similaires en collaboration avec Interstellar Lab.

Les deux solutions sont complémentaires : l’hydroponique permet d’avoir de gros rendements mais est vulnérable en cas d’aléa — une coupure élect...