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La tokenisation : aperçu et enjeux

Interview

La « tokenisation » désigne le processus de conversion des actifs financiers ou immobiliers en actifs numériques sur une blockchain, et suscite de plus en plus d’intérêt et d’investissements. Après l’émoi créé fin 2022 par les déclarations enthousiastes de Larry Fink, PDG du gestionnaire d’actifs Blackrock [1], et l’émission par Hong Kong d’obligations vertes « tokenisées » en mars 2023, la banque JP Morgan a annoncé début octobre, le lancement de sa plate-forme de tokenisation (le Tokenized Collateral Network).

Pourtant, on sait peu de choses sur les modalités d’usage de cette nouvelle technologie et son impact possible sur l’accès au financement des particuliers, des entreprises et des États. Quels sont les avantages de la tokenisation des actifs financiers pour les investisseurs, les émetteurs de titres et les régulateurs du marché financier ? Quels sont les obstacles à lever pour envisager une généralisation ?

Pour en saisir les enjeux, Futuribles s’est entretenu avec Gabriel Sadoun, représentant de DigiShares aux États-Unis, plate-forme danoise spécialisée dans la tokenisation d’actifs (immobiliers, services financiers). Il nous explique pourquoi le concept pourrait aboutir à une nouvelle vague de démocratisation de la finance.

Pour commencer, pourriez-vous expliquer la tokenisation ? Qu’est-ce qu’elle apporte comparativement à la finance traditionnelle ?

G.S. : Avant de rejoindre DigiShares, j’ai travaillé pour une banque d’affaires à New York et j’ai pu constater l’obsolescence des modes opératoires en vigueur dans la finance aujourd’hui. Quand on travaille sur les marchés privés de capitaux, il y a en réalité très peu de technologie. On travaille beaucoup par téléphone ou par mails et ce processus très manuel fait qu’en tant qu’investisseur, on peut difficilement revendre ses parts parce que les frais d’intermédiation sont très élevés. Il peut y avoir jusqu’à sept intermédiaires entre acheteurs et vendeurs. Cela pose également des contraintes en termes de temps. En finance traditionnelle, le « settlement » (la concrétisation de l’opération) peut se faire des jours après la décision de l’investisseur et il peut y avoir des erreurs. Il y a donc toute une infrastructure qui a un coût, et cette lourdeur du système limite fortement la liquidité des actifs et exclut, de fait, les petits investisseurs.

Pour les actifs tokenisés, nous fonctionnons avec des contrats intelligents (les smart contracts), on les appelle les « atomic swaps ». Un contrat intelligent consiste en des lignes de code écrites sur la blockchain (Ethereum, par exemple) qui vont s’interposer entre l’acheteur et le vendeur, et vérifier d’un côté que l’acheteur a bien les sommes qu’il dit détenir, et de l’autre que le vendeur possède effectivement les actions tokenisées qui sont proposées à la vente. Le contrat intelligent va vérifier ces deux pans de la transaction et, si c’est validé, effectuer l’échange. Cet aspect est très intéressant parce que cela signifie qu’il n’y a pas besoin de tiers de confiance entre les deux parties.

La tokenisation peut donc permettre de supprimer des coûts, et d’offrir plus de sécurité et de transparence car, quand on émet des titres de propriété sur la blockchain, tout comme dans la finance traditionnelle, cela revient en réalité à inscrire des transactions dans une base de données. Sauf qu’en finance traditionnelle, cette base de données privée est isolée. C’est donc très compliqué d’échanger ses parts. C’est comme si chaque entreprise avait son propre Intranet au lieu d’être sur Internet !

Le premier projet de DigiShares était une distillerie de whisky qui a pu lever des fonds en crowdfunding grâce à des tokens. Pourquoi est-ce intéressant ? Parce que n’importe qui à travers le monde peut investir de très petits montants, à très bas coût et si l’émetteur le souhaite, ils peuvent échanger leurs tokens beaucoup plus facilement au lieu de rester bloqués pendant 10 ans [2] ou devoir attendre l’occasion d’une vente comme c’est souvent le cas actuellement. Si le token est coté sur une Bourse — pas une Bourse comme le Nasdaq mais un Alternative Trading System (ATS) comme tZero aux États-Unis —, il peut sortir de son investissement quand il le souhaite. Si vous créez un compte tZero, cela ressemblera beaucoup à ...