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La Science-fiction institutionnelle

Analyse de livre

Dans ce livre, Thomas Michaud s’intéresse aux liens entre science-fiction (SF) et organisations : entreprises, administrations, etc. Il nomme donc cette intrication, devenue une tendance de fond, « science-fiction institutionnelle », en ce que le genre est utilisé par et pour des institutions afin de construire leur vision, leur légitimité et leurs projections stratégiques. Il faut reconnaître le travail de long terme mené par l’auteur sur les liens entre science-fiction, innovation et prospective, qui a été marqué par plusieurs publications d’essais, même s’il s’aventure aussi du côté de la fiction.

Michaud Thomas, La Science-fiction institutionnelle, Paris : L’Harmattan (L’Esprit économique), janvier 2023, 270 p.

À travers ce nouveau livre, travail de documentation très complet, il retrace la naissance du design fiction et d’autres méthodologies puisant dans les imaginaires, et étudie les liens ambigus que la science-fiction entretient avec la science, les processus d’innovation, la prospective, la pensée universitaire, et plus globalement avec le capitalisme. L’auteur cite d’ailleurs régulièrement les travaux de Robert Shiller sur « l’économie narrative », qui caractériserait le capitalisme à l’âge du storytelling.

La science-fiction a toujours été une source d’inspiration pour les entreprises et l’utilisation de la SF dans ces dernières n’est pas nouvelle, notamment dans l’élaboration de « visions ». Thomas Michaud évoque dans son introduction la réalisation du premier film de prospective sur les transports du futur produit par General Motors en 1940 et le court-métrage de la maison Monsanto sur la maison du futur, produit en 1947. Mais son utilisation par les organisations a connu un essor considérable ces dernières années, notamment à travers le développement du design fiction. Dans cet ouvrage, Thomas Michaud interroge l’incursion de la science-fiction dans les processus d’innovation des entreprises : existe-t-il un risque de dénaturation du genre s’il est pris en main par les principaux acteurs du capitalisme, un système ouvertement critiqué dans les ouvrages de SF ? Très prisée par l’armée (notamment en France et aux États-Unis), la science-fiction ne contribue-t-elle pas à la conflictualisation du monde lorsqu’elle est mise au service du complexe militaro-industriel ?