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La réforme manquée du marché européen de l’électricité

La présidente de la Commission européenne avait déclaré le 29 août 2022 : « La flambée des prix de l’électricité montre les limites de fonctionnement du marché […] nous travaillons à une réforme structurelle de ce marché ». Cette réforme est entrée en vigueur le 16 juillet 2024. Elle est timide et fort éloignée d’une réforme structurelle.

Plus de mille industriels européens, inquiets pour la compétitivité de leurs entreprises ont signé la déclaration d’Anvers, lancée début 2024, afin d’obtenir un Pacte industriel parallèle et cohérent avec le Pacte vert pour l’Europe. Les signataires viennent de tous les États membres, tels EDF (Électricité de France), TotalEnergies et Air Liquide pour la France, BASF et Siemens Energy pour l’Allemagne. L’énergie est l’un des grands soucis avancés : « Les coûts de l’énergie en Europe sont tout simplement trop élevés pour être compétitifs. Ils ne sont pas influencés uniquement par le prix des matières premières mais aussi par des charges réglementaires [1]. » L’électricité est très importante. Les investissements correspondants « devront être six fois plus élevés que durant la décennie précédente ».

Que propose la récente réforme au sujet de prix plus compétitifs ? Rien de notable. On trouve la possibilité de contrats à long terme, une meilleure transparence du marché et une protection des clients en cas de forte hausse des tarifs. Mais il est aisé de déceler des « charges réglementaires » qui grèvent les prix. Ainsi pour l’hydroélectricité qui fournit 11 % de l’électricité européenne (plus que le solaire), la réglementation de la concurrence exige que les concessions des barrages de cette électricité bon marché (les barrages sont amortis), propre et pilotable, soient renouvelées. Ceci décourage les investissements, voire la maintenance. En témoigne la position de la Cour des comptes française en février 2023 : « il est nécessaire de sortir rapidement [de cette situation] afin d’éviter que l’ensemble du parc hydraulique [français] ne se dégrade et ne puisse jouer pleinement son rôle dans la transition énergétique ». La concurrence, par sa réglementation, fait apparaître des charges qui se chiffrent en milliards d’euros dans le cas de l’hydroélectricité.

Si l’on se fonde sur l’exemple américain, la dérégulation amena de fortes baisses de prix pour le gaz naturel, les transports et les télécommunications aux États-Unis, mais rien de tel pour l’électricité. Pire, une grave crise de l’électricité survint en Californie en 2000-2001. Le rapport du Procureur général de cet État incrimina alors la sécheresse, mais aussi l’introduction de la concurrence qui entraîna des tarifs extravagants et des coupures. L’expansion de la dérégulation de l’électricité fut stoppée. Outre-Atlantique, les États permettant à tout client de choisir son fournisseur étaient 19 au début du siècle, ils sont 18 aujourd’hui et leurs tarifs sont nettement plus élevés que dans les États qui ont conservé le modèle historique à monopole. Enfin, la Harvard Business School a confirmé sur le terrain que la concurrence en électricité ne baissait pas les prix, ajoutant même qu’elle les augmentait !

Comme d’autres publications dans Futuribles [2] l’ont montré, la concurrence ne fonctionne pas en électricité, elle augmente les prix. Le marché européen de l’électricité est bâti sur une erreur [3] : les économistes doivent admettre que l’électricité n’est pas un fluide. Une réforme structurelle doit remettre en cause la concurrence et redonner aux États leurs compétences. Les tarifs reflèteront alors les coûts locaux de production et, avec une régulation convenable, ils seront le plus bas possible. Les nécessaires échanges entre États ont toujours existé et ne doivent rien à la concurrence. La réforme du marché européen de l’électricité de juillet 2024 ne convient pas.

  1. À l’échelle européenne, ces charges relèvent de la politique climato-environnementale au travers, par exemple, de l’instauration d’un prix du carbone et des aides aux renouvelables, sans oublier les aides indirectes que constituent les considérables investissements des réseaux électriques. S’ajoutent les charges liées aux règles de concurrence dont est donné un exemple mais qui comprennent aussi le coût de fonctionnement du marché actuel.

  2. Boiteux Marcel, « Les ambiguïtés de la concurrence. Électricité de France et la libéralisation du marché de l’électricité », Futuribles, n° 331, juin 2007, p. 5-16.

  3. Taccoen Lionel, « Marcel Boiteux avait raison. La concurrence en électricité augmente les prix », Futuribles, n° 458, janvier-février 2024, p. 87-93.

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