Revue

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La Guerre permanente

L’ultime stratégie du Kremlin

Analyse de livre

Pourquoi Vladimir Poutine a-t-il décidé d’attaquer l’Ukraine le 24 février 2022, au risque d’engager son pays dans un conflit armé durable, aux buts de guerre — dénazifier et démilitariser le pays — insensés ? Pourquoi renoncer ainsi à l’image qu’il s’était forgée d’un « modernisateur autoritaire », rationnel, partenaire de l’Occident dans la lutte antiterroriste et, de fait, interlocuteur incontournable des gouvernements occidentaux ? Pourquoi, enfin, exposer au grand jour sa stratégie de déstabilisation des démocraties occidentales, tout aussi efficacement menée par ses diverses actions subversives — propagande, ingérence dans les processus électoraux, chantage économique, « passeportisation [1] »… ?

Mendras Marie, La Guerre permanente. L’ultime stratégie du Kremlin, Paris : Calmann-Levy (Liberté de l’esprit), février 2024, 350 p.

La guerre en Ukraine n’est pas un événement isolé de l’histoire postsoviétique. Elle est la cinquième guerre poutinienne, après la Tchétchénie, la Géorgie, le Donbass et la Syrie, signe que la guerre est le moteur de l’actuel régime russe. Mais cette fois-ci, l’autocrate a peut-être atteint un point de non-retour, car « son sort est lié à l’issue de la guerre » affirme ici Marie Mendras. Pourquoi donc cette course vers l’abîme ? Spécialiste de la Russie et de l’Ukraine, l’auteur revient sur ces guerres successives pour décrypter le fonctionnement du « tyran » qui cherche à anéantir ceux qu’il ne peut soumettre, ses ennemis de l’intérieur comme les nations souveraines de l’ancien bloc soviétique.

Comme Vladimir Poutine, de nombreux russes vécurent l’effondrement de l’URSS comme « la plus grande catastrophe géopolitique du siècle ». Fin 1991, tandis que les républiques soviétiques gagnaient leur souveraineté, la Russie perdait une partie de sa population, de son empire extérieur et de la partie occidentale de l’empire intérieur. Sa puissance était donc fortement entamée. Or, dans la pensée russe, comme l’explique Marie Mendras, la puissance est « existentielle », indissociable de la notion de force. Dans un pays fortement ébranlé par des réformes radicales et une profonde crise économique, il devenait vital de démontrer sa force. En outre, la fusion entre l’identité russe et l’identité soviétique était telle qu’il lui était difficile de se vivre comme une nation, à la différence des autres républiques. Il fallait pourtant que les Russes apprennent à se « définir en positif et non plus en négatif, par rapport à [leur]s ennemis de l’extérieur » analyse l’auteur. L’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine empêchera définitivement cette mutation.

Bien qu’elle y soit antérieure, la première guerre de Tchétchénie, déclenchée en décembre 1994, marque la sortie de la Russie de la voie démocratique et le retour des structures de force : l’« opération » visait alors à rétablir l’ordre constitutionnel dans cette république autonome qui aspirait à l’indépendance. Cinq ans plus tard, Vladimir Poutine, à peine arrivé au pouvoir, provoque la seconde guerre de Tchétchénie afin d’effacer l’humil...