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La galaxie vidéographique

Cet article fait partie de la revue Futuribles n° 54, avril 1982

Pour tenter d’y voir clair dans une réalité future protéiforme et indéterminée a priori, il est important d’analyser les enjeux du développement des nouveaux médias, enjeux ergonomiques, enjeux de pouvoir, enjeux sémantiques, enjeux culturels, par rapport auxquels se structurent les attitudes des différents acteurs ; c’est à la fois peu et beaucoup : cela ne permet pas de faire des prévisions ( » quel sera l’impact des services vidéotex en 1990 « ) mais peut aider à comprendre ce qui se passe.

En fait, et beaucoup de travaux sur la diffusion des techniques dans les sociétés le suggèrent, il n’existe pas de fatalité technique (le vidéotex ne conduit inéluctablement ni à  » Big Brother « , ni à la société harmonieuse de la transparence informationnelle), mais il existe des processus d’appropriation sociale des techniques nouvelles, plus ou moins lents, plus ou moins conflictuels : toute utilisation d’une offre technique nouvelle vient perturber les équilibres existants entre professions, vient transformer les cadres institutionnels, juridiques et conceptuels existants, ou au contraire s’y mouler en s’amendant.

Il semble qu’en France ce processus ait souvent pris une forme particulière : l’offre technique s’y développe aussi bien, sinon mieux qu’à l’étranger (en France, on a des idées…), puis son utilisation et son extension se heurtent à des résistances très profondes qu’on peut analyser en première approximation comme des blocages corporatifs, juridiques aussi bien qu’institutionnels ; cette phase peut durer des dizaines d’années, aux cours desquelles les pressions s’accumulent et finissent par provoquer un ré-équilibre brutal et une crise de rattrapage accéléré ; l’histoire du téléphone (actuellement en phase de rattrapage) et des réseaux de télévision câblée (en phase de montée en pression…) sont typiques à cet égard ; mais qu’on ne se méprenne pas sur un quelconque  » sens de l’histoire  » inéluctable : on peut hasarder l’hypothèse que le jeu de l’appropriation sociale des techniques a pu conduire à un grand développement de la télévision par câble au Canada, aussi bien qu’à un ralentissement des programmes nucléaires américain et allemand ; alors qu’en France, ne serait-ce pas la limitation de ce jeu qui a conduit à un développement à tout va de l’énergie nucléaire et dans le même temps à un blocage de l’essor de la câblo-distribution ?

De toute façon, il n’existe sans doute pas plus de fatalité historique que de fatalité technique, ce qui laisse sa chance à un développement modérément conflictuel des matériels et services vidéotex français… L’essentiel est que des lieux puissent exister pour le débat, la négociation, la re-définition des compétences, des catégories et des règles du jeu ; en ce sens, l’extension des services vidéotex sera un révélateur pour notre société de sa capacité à gérer – ou à étouffer – les conflits inévitables entre les groupes, entre les points de vue.

#Changement technologique #France #Modes de vie