Revue

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La Colère et l’oubli

Les démocraties face au jihadisme européen

Analyse de livre

en
Depuis le début de la guerre en Syrie, 6 000 Européens ont rejoint le Levant pour se battre aux côtés de Daech et du Front al-Nosra. Comment un phénomène marginal, né en Afghanistan pendant l’occupation soviétique, a-t-il pu prendre une telle ampleur ? Par quels processus l’idéologie salafo-jihadiste s’est-elle répandue en Europe, au point de produire une « nouvelle identité islamique », adoptée par certains musulmans, qui condamne les valeurs des sociétés européennes, met en péril leur cohésion et, partant, leurs fondements démocratiques ?

Micheron Hugo, La Colère et l’oubli. Les démocraties face au jihadisme européen, Paris : Gallimard, avril 2023, 374 p.

Hugo Micheron est docteur en sciences politiques et maître de conférence à l’École des affaires internationales de Sciences Po. Il travaille depuis 2015 sur le jihadisme en France. Dans cet ouvrage, il élargit son champ d’étude à l’Europe et tente d’analyser cette idéologie meurtrière, qui évolue par vagues de flux et reflux, sous l’effet du contexte international et de l’environnement local. Des périodes d’attentats alternent avec des phases de restructuration, pendant lesquelles les militants adaptent et perfectionnent leur discours et leurs techniques de prédication et de recrutement. En livrant son analyse, l’auteur espère fournir aux gouvernants et à la société les clefs pour anticiper la menace, et non plus la subir.

D’où vient le jihadisme ?

Hugo Micheron distingue trois phases. La première commence avec la fin de l’occupation soviétique en Afghanistan et se termine par les attentats du 11 septembre 2001. Si le jihadisme contemporain est né avec cette guerre, il s’est véritablement structuré à l’arrière du front, à Peshawar, où des institutions religieuses peaufinent l’endoctrinement et la formation des activistes. Après la chute du régime communiste à Kaboul, et la guerre civile qui s’en suit, les vétérans quittent la région, pour poursuivre la lutte en Bosnie [1], en Algérie [2] ou dans certaines villes européennes, où ils s’installent pour fuir leur propre pays. C’est le début du jihadisme européen, avec l’apparition de foyers extrémistes à Londres — le « Londonistan » —, à Bruxelles ou Copenhague. La fin de la guerre en Bosnie, et la « concorde civile » en Algérie donnent l’illusion d’une accalmie géopolitique, tandis qu’Al-Qaïda, accueilli par l’Émirat islamique d’Afghanistan prépare les attentats de Tanzanie, du Kenya, de Strasbourg [3] et du 11 septembre 2001 sur le sol américain.

La deuxième phase couvre la décennie 2000 et s’achève avec le début de la guerre civile syrienne. Elle marque le début du jihadisme européen et l’entrée en jeu de nouveaux acteurs — les « pionniers » —, auxquels les vétérans ont passé le relais. Ils sont à l’origine de foyers jihadistes particulièrement virulents, comme ceux d’Ulm et Toulouse. Ici encore, le contexte international [4] dynamise une idéologie qui exploite par ailleurs la marginalisation économique, sociale, politique et culturelle de musulmans issus de l’immigration.

La troisième phase s’ouvre sur la guerre en Syr...