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Holocaustes

Israël, Gaza et la guerre contre l’Occident

Analyse de livre

en
« Holocaustes », au pluriel : le titre surprend, dérange même. Le terme n’est-il pas exclusivement réservé à la Shoah, la « catastrophe » en hébreu, qui désigne l’extermination des juifs pendant la Deuxième Guerre mondiale ? Non. Au sens propre, il qualifie un sacrifice religieux, explique Gilles Kepel, et par extension, ses victimes et la volonté d’anéantissement qui motive l’acte. Or, depuis la « razzia » du 7 octobre 2023, les sacrifices mutuels que s’infligent Israéliens et Palestiniens évoquent un holocauste, par leur ampleur, leur violence, le fanatisme religieux qui les sous-tend.

Kepel Gilles, Holocaustes. Israël, Gaza et la guerre contre l’Occident, Paris : Plon, mars 2024, 216 p.

Comme il s’autorisa à le faire dans son ouvrage précédent — Le Prophète et la pandémie [1] — Gilles Kepel livre ici « à chaud » son analyse des événements récents, tant leurs enjeux sont inédits et déterminants pour les équilibres du monde : issue politique d’un conflit vieux de plus de 70 ans et éventualité d’une solution à deux États ; rapports de force entre les puissances régionales que sont le Qatar, l’Arabie Saoudite, la Turquie et l’Égypte ; avenir et positionnement de l’islamisme politique, dont les mouvements les plus radicaux, aussi bien chiites que sunnites, font front derrière l’Iran au sein d’un « axe de la résistance » ; enfin, émergence d’un nouvel ordre mondial dans lequel un « Sud global », conduit notamment par la Chine et la Russie avec le groupe des BRICS élargi [2], prendrait sa revanche contre l’Occident dont il conteste la domination.

À la fois expert en géopolitique et spécialiste du monde arabe, Gilles Kepel n’a pas son pareil pour analyser la dimension symbolique des actes ou mettre les événements en perspective. Dans ce dernier ouvrage, il met en lumière les trois dimensions du conflit : 1) l’affrontement entre deux radicalismes aussi bien politiques que religieux et les mécanismes d’un engrenage dans une spirale belliqueuse ; 2) les stratégies d’acteurs qui redoutent l’extension du conflit ou, à l’inverse, exploitent l’instabilité régionale ; 3) l’instrumentalisation du concept de génocide au profit d’une lutte contre l’Occident et ses valeurs.

Le 7 octobre 2023, 3 000 fedayin franchissent les barrières entre Gaza et Israël. Cette attaque aurait entraîné la mort de 1 189 Israéliens [3]. Nommée le « déluge d’al-Aqsa » par les dirigeants du Hamas, elle s’inscrit dans la continuité de la deuxième Intifada, qui se situe entre 2000 et 2005, et fait référence à la plus grande mosquée de Jérusalem, symbole pour les musulmans de la captation de la Palestine par Israël. Par son mode opératoire, elle rappelle les « razzias bénies », requalifiées en jihad par les conquérants de l’islam. Par le choix de la date, un 7 octobre, elle fait écho à la première déclaration publique d’Oussama ben Laden après la « double razzia bénie [4] » du 11 septembre 2001. Dans les deux cas, un ennemi réputé invincible chancèle, provoquant l’effroi, notamment au sein du peuple juif qui croit revivre l’horreur de la Shoah. Ainsi,...