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Gouvernance politique

L’ADEME (Agence de la transition écologique) et le CSTB (Centre scientifique et technique du bâtiment) ont conduit en 2020 une démarche de prospective intitulée « Imaginons ensemble les bâtiments de demain ». Cette réflexion a abouti à un ensemble de matériaux accessible sur le site dédié, dont quatre scénarios à l’horizon 2050 et 22 fiches variables. Ces dernières sont réactualisées et publiées, chaque mois, sous forme de Repères sur le site de Futuribles.

Synthèse

  • Un phénomène notable de ces dernières années au niveau de la gouvernance à l’échelle nationale est la multiplication des arènes de discussion (conventions citoyennes…) qui soulèvent des questions d’articulation avec, d’une part, les instances de la démocratie représentative et de, l’autre, des modalités de dialogue avec les corps intermédiaires.
  • À l’échelle locale, ces dernières années ont été caractérisées par la poursuite des démarches de participation citoyenne engagées depuis les années 2000.
  • La défiance entre les acteurs politiques et la démocratie est toujours plus forte.
  • Les attentes envers les pouvoirs publics croissent et se diversifient, mais elles sont doublées d’une faible confiance en leur capacité à gérer les grandes crises et défis collectifs.
  • Le mécontentement croissant des Français envers la démocratie se traduit notamment par une montée en puissance des partis, mouvements et valeurs relevant de l’autoritarisme.
  • En ce qui concerne la décentralisation, un rapport de la Cour des comptes publié en mars 2023 a tiré une conclusion très critique. L’autonomie financière des collectivités recule.

Pourquoi est-ce important pour le bâtiment et l’immobilier ?

L’organisation de la gouvernance politique en France peut avoir de nombreux impacts directs et indirects pour le bâtiment et l’immobilier, relevant de trois domaines :

  • l’articulation et la cohérence (ou non) des décisions relatives au secteur du bâtiment entre l’État et les différents échelons locaux ;
  • le degré de confiance accordée aux différentes institutions et acteurs publics susceptibles de prendre des décisions dans le secteur du bâtiment ;
  • la légitimité et l’acceptabilité des décisions publiques prises au nom d’enjeux collectifs.

Rétrospective

En 2020…

En 2020 l’analyse rétrospective que nous faisions de la gouvernance politique, dans le cadre de l’étude prospective Imaginons ensemble les bâtiments de demain, faisait apparaître les points suivants :

  • Le système français de gouvernance politique se caractérise à la fois par des inerties fortes et par la recherche permanente de modalités de modernisation sans consensus clair.
  • Les institutions françaises sont globalement marquées par un fort centralisme et une large latitude laissée à l’exécutif pour imposer des décisions.
  • Mais ce centralisme fait l’objet de contestations régulières et de mesures de décentralisation régulières depuis les années 1980.
  • Les départements, les régions mais aussi les métropoles ont ainsi bénéficié de transferts de compétences progressifs, qui se heurtent néanmoins à plusieurs limites (décalage entre prérogatives et moyens financiers et humains, manque de cohérence et concurrence entre les échelons institutionnels.
  • Le manque de concertation constitue aussi un enjeu majeur, à la fois entre l’État et les collectivités, et entre les collectivités elles-mêmes.
  • La complexité des échelles de décision s’est encore accrue avec le transfert de certaines compétences aux instances européennes.
  • Enfin, les citoyens eux-mêmes revendiquent leur droit à être plus directement associés aux prises de décision, au-delà des votes, via des procédures consultatives et participatives.

Mise à jour 2023

Les évolutions de la gouvernance politique sont (hors périodes de grands changements politiques) par essence relativement lentes car soumises à de nombreuses inerties. Au cours des dernières années, la gouvernance politique en France a surtout été marquée par l’accentuation de plusieurs tendances majeures.

La recherche continue d’articulation entre démocratie représentative, démocratie des parties prenantes et démocratie participative

À l’échelle nationale, la multiplication des nouveaux formats d’assemblée

Un phénomène notable, ces dernières années, concernant la gouvernance à l’échelle nationale est la multiplication des arènes de discussion : Convention citoyenne pour le climat, Convention citoyenne sur la fin de vie, Conseils nationaux de la refondation… Ces nouvelles arènes de dialogue soulèvent des questions d’articulation avec, d’une part, les instances de la démocratie représentative [1] et, de l’autre, des modalités de dialogue avec les corps intermédiaires.

À l’échelle locale, la poursuite des efforts sur la participation citoyenne

À l’échelle locale, ces dernières années ont été caractérisées par la poursuite des démarches de participation citoyenne engagées depuis les années 2000. On observe en effet depuis une vingtaine d’années un foisonnement de réflexions et d’expérimentations, notamment au niveau local, sur des modes de gouvernance plus directs, sur l’expérimentation de nouveaux modèles de coopération pour prendre en charge les biens communs, ou encore sur des approches hybrides multiacteurs. Le schéma ci-dessous présente la diversité de ces dispositifs [2]. Depuis 2018, les collectivités locales consacrent des budgets croissants aux démarches participatives et aux outils de démocratie locale numérique.

Cette tendance va néanmoins de pair avec des inégalités parfois importantes entre les territoires et entre les individus dans l’accès à ces initiatives [3]. Par ailleurs, le succès récent d’analyses [4] venant interroger l’efficacité des démarches de démocratie participative peut laisser penser qu’à une phase d’expérimentation intense pourra succéder, dans les prochaines années, une nouvelle phase de maturité des dispositifs.

Préférer les dispositifs ponctuels aux dispositifs permanents

Dispositifs numériques mis en place dans les collectivités locales

Source : Baromètre de la démocratie locale numérique, Observatoire des civic tech et de la démocratie numérique, juillet 2021.

Une défiance toujours plus forte envers les acteurs politiques et la démocratie,

La France se caractérise par une défiance structurelle des citoyens envers les institutions. Plus précisément, un décalage général s’observe entre la faible confiance accordée aux institutions nationales et européennes, et la confiance plus élevée envers les échelons locaux. Ainsi, seuls 30 % des Français font confiance au président de la République, contre 57 % qui font confiance à leur maire, ces deux taux étant en forte baisse depuis 2021 [5].

Par ailleurs, 69 % des interrogés sont d’accord pour dire que le système démocratique fonctionne plutôt mal en France et que leurs idées ne sont pas bien représentées.

Le niveau de confiance dans les personnalités politiques selon les fonctions

Source : Baromètre de la confiance politique, vague 14 « Derrière la crise sociale, la défiance encore et toujours », CEVIPOF (Centre de recherches politiques de Sciences Po), février 2023.

Cette crise de confiance est notamment alimentée par la perte de crédibilité de la démocratie représentative et les nombreux scandales, politiques comme industriels, qui ont marqué ces dernières années. Elle est aussi exacerbée par certaines tendances lourdes, en particulier : l’élévation du niveau d’éducation et de l’esprit critique, l’individualisation des sociétés, la massification de l’information, l’essor des fake news

Baisse de la confiance envers la présidence de la République et les députés

Lecture : réponse à la question « Avez-vous tout à fait confiance, plutôt confiance, plutôt pas confiance ou pas confiance du tout dans chacune des catégories suivantes ? »
Source : « Fractures françaises 2023, 11e édition », Ipsos/Sopra Steria pour Le Monde, la Fondation Jean-Jaurès, le CEVIPOF et l’Institut Montaigne, octobre 2023.

Cette défiance envers les institutions se traduit notamment par une accentuation de l’abstention sur longue période, y compris à l’échelon local. Ainsi, le taux de participation aux municipales de 2020 a atteint un taux historiquement bas de 44,7 %. L’abstention est particulièrement élevée chez les jeunes : au premier tour des élections régionales en 2021, le taux d’abstention chez les 18-24 ans a même atteint 87 % [6].

Taux de participation au premier tour des élections municipales de 1971 à 2020

Source : quatrième enquête de l’Observatoire de la démocratie de proximité AMF (Association des maires de France)-CEVIPOF, novembre 2020.

La hausse et la diversification des attentes envers les pouvoirs publics, doublée d’une faible confiance en leur capacité à gérer les grandes crises et défis collectifs

Cette défiance croissante des Français envers les acteurs publics va néanmoins de pair avec des besoins en hausse et diversifiés qui leur sont adressés : prévention des risques, santé, solidarité, transition écologique et impacts du changement climatique, éducation… Le décalage entre l’ampleur de ces attentes et les moyens alloués par les pouvoirs publics (dans un contexte de très forte tension sur les finances publiques) peut expliquer au moins en partie la frustration exprimée envers les pouvoirs publics. Mais, de leur côté, les acteurs publics, notamment locaux, se retrouvent pris en étau entre ces attentes, l’ampleur des investissements nécessaires pour relever des défis toujours plus nombreux et des niveaux croissants d’endettement.

Illustration de cette pression croissante envers les élus : près de 4 000 maires auraient démissionné depuis 2020, tiraillés entre les exigences croissantes de leurs élus, la difficile coordination avec les intercommunalités et le manque de moyens financiers [7]. Ainsi, les maires qui bénéficiaient jusqu’à présent du taux de confiance le plus élevé parmi les élus politiques voient cette confiance diminuer depuis quelques années [8].

Cette hausse des attentes se double d’une faible confiance envers les pouvoirs publics pour gérer les grandes crises et défis collectifs. En 2022, seuls 40 % des Français faisaient confiance au gouvernement pour gérer la crise sanitaire. Seul un tiers lui fait confiance pour la gestion de la crise en Ukraine et un quart pour gérer la crise environnementale.

La confiance dans le gouvernement face aux crises

Source : Baromètre de la confiance politique, CEVIPOF, op. cit.

Concernant la gestion de la crise environnementale par les pouvoirs publics, les Français manifestent des attentes en partie contradictoires :

  • D’un côté, 8 Français sur 10 souhaitent que la lutte contre le changement climatique mobilise autant de moyens que celle contre la COVID [9].
  • De l’autre, seuls 11 % estiment que l’État devrait pour cela mettre en place des mesures réglementaires plus fortes et contraignantes pour les individus. Et moins d’un tiers d’entre eux se montrent favorables à des mesures contraignantes telles que la limitation de la consommation de viande ou du nombre de kilomètres parcourus en voiture, ou encore une augmentation des taxes sur l’énergie [10]. Enfin, les deux tiers des individus estiment que la priorité est de conserver les choix de consommation individuels, même si cela se fait au détriment de la préservation de l’environnement.

Ces contradictions risquent de contraindre toujours plus les prises de décision des acteurs publics en réponse à des grandes enjeux collectifs, notamment lorsqu’elles se traduiront par des contraintes pour les individus.

Différentes pistes existent pour réduire les émissions de gaz à effet de serre responsables du changement climatique. Parmi les affirmations suivantes, de laquelle vous sentez-vous le plus proche ?

Source : CREDOC (Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie), in Sensibilité à l’environnement, action publique et fiscalité environnementale : l’opinion des Français en 2023, op. cit.

La montée en puissance du courant autoritaire

Le mécontentement croissant des Français envers la démocratie se traduit notamment par une montée en puissance des partis, mouvements et valeurs relevant de l’autoritarisme. Cette tendance tend à s’accentuer encore depuis quelques années, et est visible à la fois dans les enquêtes, dans les discours politiques et dans les suffrages exprimés par les citoyens [11].

Ainsi, en 2023, 82 % des Français sont d’accord pour dire que la France a besoin d’un « vrai chef » pour « remettre de l’ordre », soit une hausse de trois points par rapport à 2022 [12]. Et les deux tiers sont d’accord avec l’idée que « plutôt qu’accorder de nouveaux droits, ce dont [la France] a besoin c’est d’une bonne dose d’autorité et d’ordre ». Par ailleurs, environ 10 % des Français se considèrent comme « très à droite » politiquement [13]. Le Rassemblent national dispose désormais de 88 sièges à l’Assemblée nationale, et près de 6 citoyens sur 10 considèrent qu’il s’agit de députés « comme les autres ».

Les personnes les plus sensibles à l’autoritarisme sont celles qui se disent les plus insatisfaites de la situation économique et sociale du pays, mais aussi les moins aisées et les moins diplômées.

Niveau de satisfaction et nature des changements attendus par les Français en 2022

N.B. : enquête réalisée en ligne par l’institut de sondage Respondi en juillet 2022 auprès
de 1 074 personnes.
Source : Guillouet Simon, op. cit.

La décentralisation à la loupe

Un rapport de la Cour des comptes qui questionne les résultats de la décentralisation

Le rapport public annuel 2023 de la Cour des comptes a tiré une conclusion très critique concernant le processus de décentralisation : « l’élan initial de la décentralisation s’est essoufflé, le paysage institutionnel s’est brouillé, les compétences sont de plus en plus imbriquées et exercées par plusieurs niveaux de collectivités. »

Selon la Cour, la succession de réformes parfois contradictoires a entraîné un brouillage des compétences entre les différents échelons. Par exemple, le transfert de la gestion des transports interurbains et scolaires des départements vers les régions a ensuite été remis en cause par des re-délégations aux départements de tout ou partie de ces compétences. Dans le domaine du logement, la loi de 2015 portant sur la nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) prévoyait un transfert aux groupements de communes des aides immobilières destinées aux entreprises, mais une majorité d’entre eux les ont retransférées aux départements. La Cour des comptes estime par ailleurs que la constitution des grandes régions s’est traduite par d’importants surcoûts pour des compétences qui restent insuffisantes. Enfin, l’institution considère que le processus de fusion des communes reste largement insuffisant : le pays compte toujours près de 35 000 communes et seules 2 500 se sont regroupées dans des communes nouvelles.

En réponse à ce bilan, Emmanuel Macron a confié une mission sur la réduction du nombre de strates décentralisées à Éric Woerth en novembre 2023 [14].

Le recul de l’autonomie financière des collectivités

La complexification de l’architecture des pouvoirs entre niveaux géographiques va de pair avec des tendances contradictoires entre décentralisation, déconcentration et contrainte financière accrue sur les collectivités. Selon le rapport de la Cour des comptes de mars 2023, le bilan financier de la décentralisation est entaché par plusieurs phénomènes :

  • Des dépenses locales qui demeurent globalement inférieures à la moyenne européenne (11 % du produit intérieur brut en 2021, contre près de 18 % dans les autres pays) et donc insuffisantes pour répondre aux délégations croissantes de compétences de l’État.
  • Une forte hausse des dépenses communales (notamment de personnel), sans transferts significatifs vers les intercommunalités.
  • Des modalités de financement des collectivités devenues trop complexes, entre dotations de l’État, part d’impôts nationaux, fiscalité et redevances locales. Les collectivités sont globalement plus dépendantes des impôts nationaux, ce qui réduit l’autonomie fiscale des élus.

Répartition des recettes de collectivités locales en 2021

Quelles hypothèses à 2050 ?

L’analyse menée en 2020 nous avait amenés à identifier deux questions clefs conduisant à deux grandes hypothèses sur l’évolution de la politique environnementale :

  • Incertitude 1 : les règles collectives seront-elles imposées (peu de parties prenantes associées) ou négociées (grand nombre de parties prenantes associées) ?
  • Incertitude 2 : la décision sera-t-elle centralisée ou distribuée ? Arrivera-t-on à stabiliser les relations entre pouvoir central et pouvoirs périphériques, et à pousser les acteurs à négocier entre eux à la bonne échelle ?

Les évolutions de ces dernières années confirment les tensions entre centralisation et décentralisation sous contraintes.

L’hypothèse tendancielle retenue dans la démarche « Imaginons ensemble les bâtiments de demain » début 2022, à savoir « Recentralisation », apparaît toujours pertinente pour décrire les évolutions récentes de certains secteurs (sécurité, transition écologique…). En revanche, l’hypothèse « Localisme » monte également en puissance dans d’autres secteurs (santé, social…).

La combinaison de ces deux incertitudes amène aux quatre hypothèses ci-dessous. 

Schéma synthétique

*Hypothèse tendancielle.

  1. Pech Thierry, Le Parlement des citoyens. La Convention citoyenne pour le climat, Paris : Seuil, 2021.

  2. Gatel Françoise et Houllegatte Jean-Michel, Pour une nouvelle dynamique démocratique à partir des territoires : la démocratie implicative, Sénat, rapport d’information n° 520, février 2022.

  3. Beurey Thomas, « Rapport Bernasconi : la participation citoyenne au secours de la démocratie locale », Banque des territoires, 22 février 2022.

  4. Loisel Manon et Rio Nicolas, Pour en finir avec la démocratie participative, Paris : Textuel, 2024.

  5. Baromètre de la confiance politique, vague 14 « Derrière la crise sociale, la défiance encore et toujours », CEVIPOF (Centre de recherches politiques de Sciences Po), février 2023.

  6. Teinturier Brice, « Abstention électorale : comprendre le phénomène », Vie publique, 30 mai 2022.

  7. Valiergue Marinette, Démocratie locale malmenée : la délibération au secours de la représentation, Fondation Jean Jaurès, 26 octobre 2023.

  8. « Fractures françaises 2023, 11e édition », Ipsos/Sopra Steria pour Le Monde, la Fondation Jean-Jaurès, le CEVIPOF et l’Institut Montaigne, octobre 2023.

  9. Sensibilité à l’environnement, action publique et fiscalité environnementale : l’opinion des Français en 2023, ADEME, 2023.

  10. Baromètre de la confiance politique, CEVIPOF, op. cit.

  11. Guillouet Simon, La Demande d’autoritarisme politique en France, Fondation Jean Jaurès, 30 mars 2023.

  12. « Fractures françaises 2023, 11e édition », op. cit.

  13. Baromètre de la confiance politique, CEVIPOF, op. cit.

  14. Forray Jean-Baptiste, « Millefeuille territorial : la délicate mission d’Éric Woerth », La Gazette des communes, 6 novembre 2023.

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