Revue

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Gestion de l’obsolescence des bâtiments

L’ADEME (Agence de la transition écologique) et le CSTB (Centre scientifique et technique du bâtiment) ont conduit en 2020 une démarche de prospective intitulée « Imaginons ensemble les bâtiments de demain ». Cette réflexion a abouti à un ensemble de matériaux accessible sur le site dédié, dont quatre scénarios à l’horizon 2050 et 22 fiches variables. Ces dernières sont réactualisées et publiées, chaque mois, sous forme de Repères sur le site de Futuribles.

Synthèse

  • Les nouveaux facteurs d’obsolescence se concrétisent.
  • Cette dernière s’accélère notamment dans les bureaux, ce qui conduit à une évolution sensible de la demande en bureaux et une augmentation de la vacance dans des zones moins attractives.
  • Des premiers signaux réglementaires viennent marquer une accélération de l’obsolescence énergétique : premières interdictions de location de passoires énergétiques dans le résidentiel, premières obligations de reporting dans le cadre du dispositif « Éco énergie tertiaire ».
  • Les impacts du changement climatique s’accélèrent, l’année 2022 ayant été particulièrement marquée par des catastrophes naturelles, et notamment une sécheresse ayant entraîné des dommages records.
  • Les stratégies de gestion de l’obsolescence évoluent vers une meilleure gestion du parc existant plutôt que des stratégies de gestion de l’obsolescence par le neuf. Par exemple, l’objectif de zéro artificialisation nette introduit dans la loi en 2021 ancre l’idée de reconstruire la ville sur la ville, et l’activité de reconversion de bureaux en logements se structure.
  • L’adaptation au changement climatique apparaît de manière croissante dans les stratégies de gestion de parcs, mais sa mise en œuvre est balbutiante.

Pourquoi est-ce important pour le bâtiment et l’immobilier ?

La plus grande part du parc immobilier de 2050 est déjà construite. L’évolution de l’état de ce parc aura donc un impact majeur sur le bâtiment et l’immobilier d’ici 2050.

Cette évolution devra intégrer les facteurs d’obsolescence actuels ainsi que de potentiels nouveaux facteurs d’obsolescence.

La manière dont sera gérée l’obsolescence de ce parc aura un impact à la fois sur :

  • l’adaptation du parc de 2050 à la demande ;
  • le marché des acteurs de l’offre (construction, rénovation, services immobiliers) ;
  • l’économie, via les budgets nécessaires à l’évolution du parc et les pertes de valeur éventuelles d’un parc dont l’obsolescence augmenterait.

Rétrospective

En 2020…

En 2020, l’analyse rétrospective que nous faisions de la gestion de l’obsolescence dans le cadre de l’étude prospective Imaginons ensemble les bâtiments de demain faisait apparaître les points suivants :

  • Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, de nombreux facteurs d’obsolescence ont joué. Les évolutions économiques (tertiarisation) et territoriales (urbanisation), croisées avec l’évolution des techniques, ont rendu obsolètes des locaux agricoles et industriels. Cette obsolescence a été gérée par la vacance, la destruction ou le changement d’usage.
  • L’évolution des normes sociales dans le logement (confort, hygiène) a été gérée par l’adaptation du parc existant (développement des salles de bain, des WC, du chauffage central…).
  • La construction neuve a également été un pilier de la gestion de l’obsolescence de logements insalubres. Les grands ensembles des années 1970 ont connu une obsolescence rapide, liée au fonctionnement de la ville, et des débats existent sur la meilleure stratégie de gestion de cette obsolescence (destruction, rénovation…).
  • L’évolution du commerce a conduit à une vacance des commerces de centre-ville, surtout dans les villes moyennes. Le rythme d’obsolescence des bureaux s’accélère, sous l’effet des évolutions du travail et des stratégies de gestion des parcs immobiliers par les entreprises.
  • À partir de la première crise de l’énergie de 1973, les performances énergétiques deviennent un facteur d’obsolescence. Les politiques de rénovation énergétique peinent à accélérer le rythme de travaux pour y répondre.
  • Autres émergences qui pèseront sur l’obsolescence future des bâtiments : le vieillissement de la population (et la prise en compte des handicaps) et le changement climatique.

Mise à jour 2023

Quelle sera l’ampleur et la vitesse de l’obsolescence ? Les nouveaux facteurs d’obsolescence se concrétisent

Une obsolescence qui s’accélère dans les bureaux

L’obsolescence des bureaux s’accélère sous l’effet de plusieurs facteurs, notamment la croissance du télétravail à la suite de la pandémie, ce qui conduit à une évolution sensible de la demande de bureaux. Les surfaces demandées se réduisent et la demande se porte sur des bureaux de qualité à proximité des réseaux de transport. Ceci conduit à une augmentation forte de la vacance dans les zones de bureaux moins attractives et à une baisse sensible de valeur d’une partie du parc.

Fin 2022, 7,9 % des bureaux étaient ainsi vacants en Île-de-France, avec des taux de vacance très différents dans le quartier central des affaires toujours très demandé (2,3 %) et La Défense, où, d’après Immostat, la vacance atteignait 15,6 %.

L’arrivée sur la scène publique de débats sur les emplois de bureau qui pourraient être mis en danger par l’intelligence artificielle esquisse une dimension supplémentaire d’obsolescence potentielle des bureaux, encore peu présente au début des années 2020.

Rénovation énergétique : premiers signaux d’obsolescence réglementaire

  • Le fait marquant de l’année 2022 est l’entrée en vigueur de dispositifs réglementaires, faisant évoluer la politique de rénovation de l’incitation vers plus d’obligations. La réglementation sur la rénovation énergétique devient ainsi un facteur d’obsolescence des bâtiments.
    • Dans le résidentiel, les premières interdictions de location de passoires énergétiques prévues par la loi Climat et résilience de 2021. À ce stade, seuls les logements extrêmement consommateurs (> 450 kWh/m2/an) sont concernés.
    • Dans le tertiaire, l’année 2022 a été marquée par les premières obligations de reporting dans le cadre du dispositif « Éco énergie tertiaire ». Il est trop tôt, cependant, pour documenter plus précisément dans quelle mesure les assujettis au dispositif ont mis en place des actions de rénovation.
  • La manière dont la rénovation énergétique est appréhendée dans le débat public évolue également, avec la montée en puissance de prises de position en faveur de la rénovation globale des logements. En témoigne l’adoption de ce concept dans la Feuille de route de décarbonation de la filière bâtiment, publiée au printemps 2023. À ce stade, cette évolution du discours ne se traduit pas encore dans les faits, les rénovations globales type BBC (bâtiment basse consommation)-rénovation restant une proportion très limitée des rénovations de logements entreprises sur les deux dernières années (Effinergie a labellisé un peu plus de 40 000 logements en BBC rénovation en 2021 et autant en 2022). Cet accent mis sur la rénovation globale cohabite cependant dans l’arène publique avec des messages forts envoyés sur la décarbonation des bâtiments (notamment avec les annonces de la Première ministre en juin 2023), qui place un accent particulier non pas sur la rénovation du bâti, mais sur le changement d’équipements (sortie du parc des équipements au fioul ou au gaz, stratégie de déploiement de la pompe à chaleur).

Changement climatique : une accélération des impacts

Les dernières années ont été marquées par une accélération des impacts du changement climatique sur les bâtiments. Les signaux montrant que les bâtiments vont devoir s’adapter à un climat qui change se multiplient : retrait-gonflement des argiles imposant des travaux très importants dans certaines maisons individuelles, sècheresse rendant problématique l’alimentation en eau dans certaines zones. Selon la Mission sur les risques naturels [1], le phénomène de retrait-gonflement des argiles a coûté entre 2 et 2,9 milliards d’euros en 2022, au-dessus du précédent record de 2003 (1,9 milliard).

Des stratégies de gestion de l’obsolescence qui évoluent vers une meilleure gestion de l’existant

Reconstruire la ville sur la ville

Alors qu’une approche classique et peu coûteuse de gestion de l’obsolescence consistait à abandonner l’existant pour aller reconstruire ailleurs sur des terrains vierges, ces dernières années ont vu la montée, dans les discours et les orientations politiques, de la volonté de réduire l’artificialisation. La loi Climat et résilience de 2021 a ainsi posé le principe « zéro artificialisation nette » (ZAN). Les débats actuels sur les règles d’application du ZAN ne le remettent pas en cause.

L’idée que l’avenir est dans la reconstruction de la ville sur la ville s’impose progressivement dans les discours. Dans les faits, cela se traduit par exemple par le succès du « fonds Friches » [2].

L’observation de l’évolution de l’artificialisation [3] montre que l’efficacité de l’urbanisation, qui s’entend comme la surface consommée moyenne pour accueillir un nouveau ménage, s’améliore. Mais cette amélioration est très inférieure au rythme nécessaire pour atteindre les objectifs de la ZAN et elle est nettement plus importante pour les locaux d’activité que pour les logements.

Une activité de reconversion des bureaux qui se structure

L’accélération de l’obsolescence de bureaux, situés pour une part très significative dans des zones où les besoins de logements sont importants, conduit à s’interroger sur leur devenir. En témoignent :

  • Le lancement, par des acteurs auparavant plutôt axés sur la construction neuve, de filiales visant à transformer des bureaux en logements [4]. Dans les années à venir, ces expériences pourraient permettre de mieux documenter, puis dépasser, les contraintes à la fois économiques, juridiques, fiscales et techniques liées à ces transformations.
  • L’organisation des réflexions sur le futur des quartiers d’affaires avec, notamment, les états généraux de la transformation des tours du quartier de Paris-La Défense [5].
  • L’introduction, dans le plan local d’urbanisme (PLU) parisien, d’obligations en matière de transformation de bureaux en logements [6].

L’adaptation au changement climatique : la lente traduction des orientations stratégiques en actions effectives sur les bâtiments

Dans le domaine de l’adaptation des bâtiments au changement climatique, l’actualité de ces dernières années a été marquée par :

  • D’une part, une montée en puissance de l’action d’analyse des risques et d’orientations stratégiques. En témoignent notamment le lancement d’une mission sur l’assurabilité des risques climatiques [7], d’une consultation publique sur un scénario de réchauffement à + 4 °C [8], ou encore la publication d’une projection de Paris à 50 °C [9]. Côté financement de l’innovation, l’appel à projets « Retrait-gonflement des argiles de France 2030 [10] » a pour objectif de mieux anticiper et répondre à ce phénomène.
  • De l’autre, une évolution plus lente en ce qui concerne la prise en compte concrète des impacts du changement climatique sur le bâtiment. À titre d’exemple, les recommandations de rénovation globale (type BBC-rénovation) se concentrent encore seulement sur les enjeux d’atténuation du changement climatique. Le déploiement des solutions d’adaptation reste extrêmement embryonnaire.

Quelles hypothèses à 2050 ?

L’analyse menée en 2020 avait débouché sur l’identification de deux questions clefs, conduisant à trois grandes hypothèses sur l’évolution de la gestion de l’obsolescence des bâtiments :

  • Quel sera le rythme d’obsolescence ? Quelles seront l’ampleur et la vitesse de l’obsolescence ? Quel sera le rythme d’adaptation aux différents facteurs d’obsolescence ?
  • Quelle sera la stratégie de gestion de l’obsolescence ? Fera-t-on une gestion par le neuf (construction neuve sur terrain vierge / vacance, destruction / reconstruction) ou par l’existant (restructuration, changement d’usage, rénovation) ?

L’hypothèse tendancielle retenue dans la démarche « Imaginons ensemble les bâtiments de demain » début 2022, à savoir une rénovation lente, nous semble toujours valide sur certaines parties du parc. En revanche, sur d’autres segments comme les bureaux, la transition vers une rénovation rapide pourrait avoir commencé.

Schéma synthétique

  1. Bilan annuel des principaux événements Cat-Nat et climatiques, MRN (Mission risques naturels), février 2023. URL : https://www.mrn.asso.fr/wp-content/uploads/2023/03/bilans-annuels-mrn-eve-catclim_2022_vf.pdf. Consulté le 16 juin 2023.

  2. Lemonnier Claire, « Reconversion des friches : des appels à projets victimes de leur succès », Batiweb, 12 mars 2021. URL : https://www.batiweb.com/actualites/developpement-durable/reconversion-des-friches-des-appels-a-projets-victimes-de-leur-succes-37621. Consulté le 16 juin 2023.

  3. « La consommation d’espace et ses déterminants », Portail de l’artificialisation des sols, chiffres au 1er janvier 2019. URL : https://artificialisation.developpement-durable.gouv.fr/determinants-artificialisation-2009-2019. Consulté le 16 juin 2023.

  4. « Bouygues Immobilier lance Coverso, son offre de transformation de bureaux en logements », Bouygues Immobilier, communiqué de presse, 13 mars 2023. URL : https://www.bouygues-immobilier-corporate.com/newsroom/bouygues-immobilier-lance-coverso-son-offre-de-transformation-de-bureaux-en-logements. Consulté le 16 juin 2023.

  5. « Des états généraux de la transformation des tours pours Paris-La Défense », Paris-La Défense, communiqué de presse, 5 janvier 2023. URL : https://parisladefense.com/fr/actualites/article/developpement-territorial/etats-generaux-transformation-tours. Consulté le 16 juin 2023.

  6. « Plan local d’urbanisme bioclimatique : vers un Paris plus vert et plus solidaire », Ville de Paris, 24 mai 2023. URL : https://www.paris.fr/pages/plan-local-d-urbanisme-bioclimatique-vers-un-paris-plus-vert-et-plus-solidaire-23805. Consulté le 16 juin 2023.

  7. « Bruno Le Maire et Christophe Béchu lancent une mission sur l’assurabilité des risques climatiques », ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, communiqué de presse, 26 mai 2023. URL : https://www.ecologie.gouv.fr/bruno-maire-et-christophe-bechu-lancent-mission-sur-lassurabilite-des-risques-climatiques. Consulté le 16 juin 2023.

  8. San Louis, « Réchauffement climatique : la stratégie d’adaptation de la France doit aussi prendre en compte un scénario “pessimiste” à + 4 °C, plaide Christophe Béchu », France Info, 30 janvier 2023. https://www.francetvinfo.fr/monde/environnement/crise-climatique/rechauffement-climatique-la-strategie-d-adaptation-de-la-france-doit-aussi-prendre-en-compte-un-scenario-pessimiste-a-4-c-plaide-christophe-bechu_5630933.html. Consulté le 16 juin 2023.

  9. Florentin Alexandre (prés.) et Leliévre Maud (rapp.), Paris à 50 °C. Le rapport, Paris : Mission d’information et d’évaluation du Conseil de Paris, 2023. URL : https://cdn.paris.fr/paris/2023/04/21/paris_a_50_c-le_rapport-Jc4H.pdf. Consulté le 16 juin 2023.

  10. « France 2030 : lancement de l’appel à projets “prévention et remédiation des désordres batimentaires dus au phénomène de retrait et gonflement des sols argileux (RGA)” », gouvernement français, 6 mars 2023. URL : https://www.gouvernement.fr/france-2030-lancement-de-l-appel-a-projets-prevention-et-remediation-des-desordres-batimentaires-dus. Consulté le 16 juin 2023.

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