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Géopolitique des mers

Analyse de livre

La surface de notre planète est occupée à 72 % par les mers. Pourvoyeuse de ressources halieutiques et énergétiques considérables, elle est aussi la principale voie d’échanges, puisqu’elle supporte 90 % des flux commerciaux en volume et 98 % du trafic Internet. Ce « front pionnier du capitalisme », que l’humanité cherche à conquérir depuis toujours, est donc nécessairement au cœur des enjeux économiques, géopolitiques et environnementaux contemporains.

Brischoux Maxence, Géopolitique des mers, Paris : Presses universitaires de France (Géopolitiques), août 2023, 168 p.

Pourtant, le droit international n’est parvenu à définir cette « autre partie du monde » que négativement : un espace au-delà des zones étatiques, qui ne peut faire l’objet d’aucune déclaration de souveraineté [1]. Dès lors, s’il est urgent de mettre en place un gouvernement de la haute mer, quelle forme lui donner ? En l’absence d’État, de territoire, de frontière et de population, celui-ci reste à inventer.

Dans son essai Géopolitique des mers, Maxence Brischoux pose les données du problème, en présentant tout d’abord les spécificités du milieu marin et de ses usages. Il fait ensuite le constat d’un processus d’hybridation des milieux, pour finalement amener le lecteur à s’interroger sur cette question politique fondamentale : quel gouvernement des mers pour éviter que le processus d’humanisation et de territorialisation inéluctable se traduise par une intensification des conflits. Naviguant avec aisance entre histoire, philosophie, politique, culture et économie, ce chercheur associé au Centre Thucydide de l’université Paris II parvient à captiver le lecteur néophyte sur un sujet majeur, pourtant largement ignoré du débat public.

Avant toute analyse, l’auteur pose quelques postulats : à la différence de la terre, le milieu marin est hostile et « impermanent », ce qui rend impossible l’habitation humaine en continu ; il est fluide, donc sans frontières et à première vue inappropriable par un individu ou un État ; enfin, il est unique et global, et constitue par conséquent un lieu de rencontre — et potentiellement d’affrontements — entre puissances. Pour toutes ces raisons, les mers sont particulièrement propices aux échanges et à l’exploitation, et deviennent même des lieux de combat lorsqu’il s’agit de contrôler les zones de pêche et d’extraction, ainsi que les routes commerciales.

Hybridation des milieux

Devant les enjeux de la maîtrise des mers, l’humanité n’a cessé de « gagner du terrain » sur le milieu marin, étant en retour transformée par l’influence croissante que les mers exercent sur elle. Humanisation des mers versus maritimisation des sociétés : on assiste, explique l’auteur, à un processus global d’hybridation des milieux.

Premier axe d’humanisation : l’amélioration des techniques de navigation et de l’architecture navale. De l’invention du chronomètre de marine au milieu du XVIIIe siècle aux systèmes de positionnement par satellite, en passant par l’invention des sous-marins, l’homme n’a eu de cesse de mettre sa science au service d’une domestication du milieu marin. Dans quel but ? Celui d’un usage « capitalistique » des mers. De fait, aujourd’hui, le commerce mondial dont dépend la santé des économies nationales — comme l’a cruellement rappelé la pandémie de la Covid — repose majoritairement sur un « écosystème » maritime comprenant construction navale, transport et infrastructures. Cette maritimisation de l’économie mondiale se traduit inévitablement par des points de vulnérabilité, liés à la concentration des acteurs — quatre compagnies concentrent 50 % des parts de marché — à la sécurité des détroits principaux — canal de ...