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Europe on Shifting Sands

This article is published in Futuribles journal no.457, nov.-déc. 2023

Deux observations d’abord. La première est évidente : l’été 2023 a été le plus chaud sur Terre depuis le début des relevés mondiaux en 1880, selon des scientifiques du Goddard Institute of Space Studies de la NASA (National Aeronautics and Space Administration). Le réchauffement climatique augmente à un rythme sans précédent : il approche, dès cette année, le seuil critique de + 1,5 °C qu’il avait été convenu de ne pas dépasser… Quelles en seront les conséquences pour la planète et les conditions de vie des espèces, y compris des humains, ceux-là mis au défi, en Occident, de se rendre maîtres de la nature, ou d’en respecter les limites ? La seconde est peut-être plus spéculative. Naître et mourir étaient des phénomènes naturels. Quarante-cinq ans après la première fécondation in vitro, une nouvelle perspective émerge : naître pourrait résulter d’une gamétogenèse in vitro qui permettrait de concevoir des bébés en laboratoire, comme cela a déjà été réalisé pour donner naissance à des souriceaux [1]. Quant à la mort que certains tenants du post-humanisme prétendent éradiquer, il reviendra peut-être à chacun de décider de l’avancer ou de la retarder…

À la lumière de ces deux seuls exemples, et sans qu’il s’agisse de science-fiction, on peut comprendre que l’association Futuribles International consacre son Rapport Vigie 2023 aux « transformations fondamentales qui modifient ou pourraient modifier ce que signifie “être humain” dans les sociétés occidentales à l’horizon des 30 prochaines années ». Cécile Désaunay et Marie Ségur nous présentent brièvement cet important ouvrage, aussi beau qu’intéressant, paru en septembre dernier.

Si l’on souligne l’accélération du changement dans certains domaines, on peut craindre que, dans d’autres, il tarde à s’opérer. Ainsi en est-il s’agissant de la transition écologique, mais également de l’ambition de l’Europe de s’affranchir, dans un contexte géopolitique et économique mondial très incertain, de sa dépendance vis-à-vis de l’extérieur pour ses approvisionnements en métaux stratégiques et en produits de haute technologie. Celle-ci a affirmé son désir de recouvrer une certaine « autonomie stratégique », notamment au travers de ses plans de relance (NextGenerationEU et REPowerEU), mais le dossier que nous consacrons au possible « rapatriement des chaînes de valeur » révèle que celui-ci ne s’est guère réalisé pour l’instant. Vincent Vicard et Pauline Wibaux montrent que, sur plus de 20 ans (1996-2019), aucune tendance claire ne se dégage, alors qu’Aymeric Lachaux souligne l’impact que pourraient avoir sur l’Europe la guerre en Ukraine et les tensions géopolitiques, notamment entre la Chine et les États-Unis, a fortiori les perspectives médiocres du commerce mondial.

La dépendance de l’Europe est particulièrement importante vis-à-vis de la Chine (son déficit en 2022 avoisinait 400 milliards d’euros et la part du marché européen des voitures chinoises, grâce aux subventions dont elles bénéficient, est passée en très peu de temps de 1 % à 8 %). Toutefois, selon la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement, on observe, depuis 2022, une « augmentation notable de la proximité politique des échanges » (friendshoring) — peut-être un fait porteur d’avenir ? Mais un réel raccourcissement des chaînes de valeur nécessairement prendra du temps.

Combien de temps faudra-t-il également à l’Union européenne pour qu’elle se dote d’une véritable politique étrangère ? La chronique de Jean-François Drevet, prenant appui sur Henry Kissinger et Madeleine Albright, Metternich et Bismarck, est fort instructive en cette matière, comme l’article d’Alain Parant sur l’étiolement démographique du Vieux Continent que révèlent crûment les dernières projections de population d’Eurostat. Ces projections montrent aussi, sans bien entendu s’y appesantir, combien l’Union européenne sera dépendante de l’immigration à venir, un sujet qui mériterait assurément une véritable réflexion prospective.

À ne pas manquer non plus : la tribune de Patrick Lagadec, direc­teur de recherche honoraire de l’École polytechnique et expert du pilotage des situations de crise qui, observant « le grand désarroi collectif » des citoyens, des experts et les dirigeants actuels, propose, dans « Une nouvelle donne pour la gestion de crise », quelques pistes pour la décision et l’action. Enfin, je vous recommande vivement le bel article du philosophe Philippe Granarolo que nous publions dans notre rubrique Futurs d’antan, « Friedrich Nietzsche, prophète ou futurologue ? » Il y montre « vers quoi peuvent conduire les forces encore enfouies dans la réalité opaque du présent » et combien prendre du recul par rapport à ce présent est nécessaire, sinon toujours plaisant.

  1. Voir Les Échos week-end du 25 septembre 2023.

#Changement social #Conditions économiques #Crises #Souveraineté