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Forests, Society, Europe

This article is published in Futuribles journal no.461, juillet-août 2024

La France se targue d’avoir réduit ses émissions de gaz à effet de serre, ces cinq dernières années, grâce, en partie, à la baisse de l’activité économique. Elle se rapproche ainsi des objectifs de sa deuxième Stratégie nationale bas-carbone (SNBC). Mais elle ne les atteint pas complètement, du fait notamment de la dégradation des puits de carbone que constituent les champs et les forêts, dont la capa­cité de séquestrer le carbone s’érode avec l’évolution climatique. Le réchauffement climatique a atteint un rythme sans précédent de + 0,26 °C sur la décennie 2014-2023, atteignant + 1,19 °C comparativement à l’ère préindustrielle, selon les experts de Earth Science Data Systems, qui estiment que l’on pourrait dépasser le cap de + 1,5 °C (limite fixée par l’accord de Paris en 2015) d’ici 10 ans.

Que savons-nous donc de la capacité des arbres à s’adapter au rythme du changement climatique ? Antoine Kremer, s’appuyant sur le cas des chênes tempérés, depuis l’ère tertiaire, montre qu’un nombre restreint d’espèces ont disparu, que les autres ont « migré » et, en se renouvelant naturellement, ont amélioré leur résilience, voire, en s’hybridant au contact d’autres espèces, acquis de nouvelles capacités d’adaptation. Mais il souligne que ces évolutions s’opèrent à un rythme trop lent au regard du changement climatique en cours. Une intervention humaine est-elle alors capable, et comment, de stimuler ces processus adaptatifs ? Oui, répond l’auteur : au travers de la migration « assistée », d’un renouvellement plus rapide des chênaies et en veillant à la diversité des espèces — autant de clefs que révèlent les progrès en génétique et biologie évolutive.

Ces mesures permettront-elles d’épargner nos forêts, voire à la France et à l’Europe d’être autosuffisants en bois ? Ce n’est pas le cas aujourd’hui puisque les Européens participent, au-delà de leurs frontières, au processus de déforestation alors même que les forêts abritent 80 % de la biodiversité terrestre mondiale, dont les deux tiers dans les forêts tropicales. Alain Karsenty en explique les raisons, qui ne sont pas toutes imputables au commerce mondial et à la « déforestation importée » — celle-ci étant à l’origine de tensions internationales, voire de controverses, au Nord comme au Sud, sur la nature des certifications et des mesures, éventuellement discriminatoires, envisagées notamment par l’Union européenne.

Le sujet du développement durable et de la transition écologique, comme le savent nos lecteurs, est récurrent dans la revue Futuribles. Jean Haëntjens y revient en soulevant la question : « pourquoi l’écologie politique, qui se pensait comme libératrice et libertaire, est-elle devenue liberticide ? » Sans résumer son analyse concernant nos libertés face aux limites de la biosphère, il plaide pour une « civilisation écologique » que l’Europe, plus que d’autres régions, pourrait incarner. Jean-Yves Boulin explore, lui, une autre transformation sociétale dans son article « Semaine de quatre jours : une préfiguration de l’avenir du temps de travail ? » Il y tire les enseignements des nombreuses expérimentations menées dans diverses organisations et différents pays concernant d’autres aménagements ou réductions du temps de travail ; des mesures qui permettraient notamment de mieux équilibrer, comme y aspirent bien des travailleurs, vie professionnelle et vie personnelle, et de réduire le temps perdu dans les déplacements. Les résultats de ces expériences sont positifs, affirme-t-il, du côté aussi bien des salariés que des entreprises. Le sujet est d’actualité ; la semaine de quatre jours est-elle pour autant un fait porteur d’avenir ?

Un troisième dossier de cette revue porte sur l’Europe face au bouleversement de la scène géopolitique et économique mondiale. Il est introduit par un article d’Elvire Fabry sur la nouvelle stratégie de sécurité économique de l’Union européenne (UE) qui, sortant d’une certaine naïveté et de son allégeance aux règles de l’Organisation mondiale du commerce, prend conscience des dangers inhérents à une compétition sans merci entre la Chine et les États-Unis, vis-à-vis desquels l’Europe est excessivement dépendante et insuffisamment armée. L’autrice s’attache donc à montrer comment l’UE peut, bien que cette stratégie dépende essentiellement des États membres, se ressaisir et devenir plus proactive, notamment dans les secteurs de la science et des technologies, ainsi que dans l’industrie et le Green Deal.

La question est de savoir si l’Europe, dont les principales réalisations sont le Marché unique et l’euro, peut devenir une puissance comme le prône le rapport d’Enrico Letta Much more than a Market (analysé par Pierre Papon, p. 93). Dans la rubrique « Forum », nos lecteurs verront que Mario Draghi milite dans le même sens, en affir­mant que l’UE a été conçue « pour le monde d’avant » et qu’il lui faut désormais s’« adapt[er] au monde d’aujourd’hui et de demain ». Jean Marsia va plus loin : il estime que « pour rétablir la paix en Europe », il faut que l’Union se dote d’une Constitution fédérale…