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Crises et temporalités : de l’accélération à l’éco-anxiété ?

Chapitre 7 du Rapport Vigie 2023

Depuis la révolution industrielle du XIXe siècle, les sociétés occidentales modernes ont cherché à s’extraire des temps imposés par la nature, les saisons ou les religions, pour devenir elles-mêmes maîtresses des horloges. Mais cette quête semble se heurter systématiquement à des forces qui les dépassent, et qui les rendent à nouveau esclaves du temps. Ainsi, ces sociétés ont successivement vu leur rapport au temps bouleversé par la diffusion du capitalisme, puis par la mondialisation et le numérique.

Un temps-monde a notamment émergé à partir des années 1980, qui a à la fois facilité la prise de conscience des enjeux planétaires et fait entrer les sociétés dans l’ère de l’instantanéité, incompatible avec la prise en charge de ces enjeux. Couplé aux exigences de rentabilité et de performance, ce temps-monde a conduit à un rétrécissement des horizons stratégiques et politiques des organisations, privées comme publiques. Prisonnières de cette accélération permanente, les sociétés occidentales ont globalement arrêté de penser le temps long et ont adapté l’ensemble de leurs processus de fonctionnement collectifs à cette urgence vide de sens. Pour les individus, cette accélération apparaît étrangement décalée avec des temps de vie et des temps libres qui n’ont jamais été aussi longs.

Plus récemment, la crise climatique et environnementale a fait émerger deux tensions majeures :

• d’une part, entre un intérêt (voire une nécessité) retrouvé pour les réflexions sur le temps long et l’urgence d’agir à court terme pour faire face à cette crise ;

• d’autre part, entre la radicalité des transformations nécessaires des sociétés et des économies, et les temporalités (réelles ou perçues) nécessaires à ces transitions.

Tout se passe donc comme si les sociétés occidentales s’intéressaient de nouveau à l’avenir, avant tout pour fuir un présent devenu instable, imprévisible, non maîtrisable, trop anxiogène. En effet, le temps dominant devient plus que jamais celui des incertitudes « radicales », à la différence des risques mesurables et probabilisables intégrés par nos organisations. À mesure que la nature redevient maîtresse des horloges des sociétés et des individus, certains d’entre eux sont gagnés par l’éco-anxiété, et en viennent à considérer le futur uniquement comme effrayant. La finitude temporelle devient en elle-même un nouvel horizon, et se traduit par de nouveaux imaginaires (comme l’effondrement), de nouvelles valeurs (comme les mouvements No Child ) et de nouvelles pratiques visant au contraire à échapper à cette fatalité (nouvelles spiritualités et rites permettant de dépasser les temporalités humaines). À l’avenir, les sociétés occidentales réussiront-elles à réinventer leur rapport au temps pour réconcilier gestion des urgences, dynamisme socio-économique et imaginaires de long terme ? Dans quelle mesure des logiques aujourd’hui minoritaires (comme le ralentissement ou la réconciliation avec les cycles du vivant) pourraient-elles inspirer des relations plus apaisées avec le temps, et compatibles avec les enjeux climatiques et environnementaux ?

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