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Covid-19, et après ?

Cet article fait partie de la revue Futuribles n° 436, mai-juin 2020

La pandémie de Covid-19 semble avoir surpris nos contemporains qui, aussitôt, se sont empressés de dénoncer le manque d’anticipation vis-à-vis d’un tel risque. Ce jugement est erroné. De nombreux travaux d’experts et même de responsables politiques l’avaient anti­cipé, même si nul ne pouvait évidemment prévoir précisément où, quand et comment il prendrait forme. En témoignent, parmi bien d’autres, le rapport de la Délégation sénatoriale à la prospective sur « les nouvelles menaces des maladies infectieuses émergentes » (2012) [1], la conférence de Bill Gates sur l’apparition imminente d’une pandémie incontrôlable (2015) [2] et un article de Nature Medicine (2015) signé par plusieurs équipes dont une de Wuhan [3].

Pire encore, les précédents n’ont pas manqué : sans remonter à la grippe espagnole (50 millions de morts en 1918-1919), à la grippe asiatique (1957-1958) ou à celle dite de Hong Kong (1968), il suffit de se souvenir du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS, en 2002-2003), de la pandémie de grippe A (H1N1, en 2009), sans parler d’Ebola (2013-2016), certes limité à l’Afrique de l’Ouest, loin de l’épicentre de l’économie mondiale, mais encore plus densément peuplée que l’Europe en populations vulnérables, celles qui sont évidemment les plus fragiles face à de tels événements.

Ce qui est évident, c’est le peu d’attention accordée à ces travaux et manifestations, l’imprévoyance et l’incurie dont ont fait preuve la plupart des États, leur incapacité à coopérer entre eux, y compris au sein même de l’Union européenne. Ce qui est consternant, c’est leur incapacité à prendre en compte le long terme et à anticiper les crises comme en témoigne dramatiquement le délabrement des systèmes de santé (les conditions de travail des professionnels, le manque d’équipements et de médicaments essentiels), sans doute en raison d’un contrôle de gestion à courte vue qui, par exemple, en France s’est traduit par une carence désastreuse de biens vitaux. Mais a contrario – et comme quoi nous sommes tous responsables -, souvenons-nous du procès intenté en France à Roselyne Bachelot, alors ministre de la Santé, pour avoir commandé des masques et des vaccins en raison d’un risque finalement surestimé !

Manifestement, les alertes ne sont guère efficaces, il faut que la cata­strophe intervienne pour que, faute de proactivité, les États, alors démunis des moyens de l’éviter, s’intéressent au sujet, s’affairent pour essayer, tant bien que mal, d’en limiter les dégâts. Alors, ils décrètent le confinement général tout en nous incitant à aller travailler, une posture paradoxale témoignant des grandes difficultés auxquelles ils sont confrontés du fait d’une imprévoyance coupable (même si nul n’est à même de dire avec certitude ce que l’avenir nous réserve).

Quels enseignements en seront tirés une fois la crise sanitaire passée ? Qu’il est urgent de rétablir la situation d’avant ou, au contraire, de saisir cette occasion pour accélérer la mutation fondamentale qui s’impose, celle de la transition écologique ? Car, comme l’explique fort bien le paléoanthropologue Pascal Picq, l’espèce humaine – en dépit de sa volonté de dominer la nature – « ne cessera jamais de coévoluer avec les autres espèces, à commencer par les virus et bactéries » ; il lui faut donc « pour garantir une bonne santé aux hommes, garantir une bonne santé aux animaux ainsi qu’aux environnements naturels » [4]. L’unique bonne nouvelle issue de la pandémie actuelle est la baisse de la pollution résultant du ralentissement de l’activité économique et des restrictions de transport, une pollution qui, selon l’Organisation mondiale de la santé, ferait chaque année plus d’un million de morts en Chine et près de 50 000 en France.

Surseoir encore et encore à engager cette transition qu’impose le processus irréversible de réchauffement climatique et de perte de biodiversité, avec tout ce que ceux-ci impliquent, au nom d’un rétablissement temporaire de l’ordre ancien, conduirait assurément à sacrifier les générations à venir aux fléaux autrement plus graves, durables et fort documentés qui en résulteront. « La peste porcine, les grippes aviaires ne sont pas que l’affaire des cochons ou des volailles, écrit encore Pascal Picq, c’est aussi la nôtre. » Ce qu’implique cette transition fait l’objet de la série sur l’énergie et le climat dont nous poursuivons, dans ce numéro, la publication, non sans livrer à nos lecteurs une brève synthèse des scénarios post-Covid-19 en cours d’élaboration au sein de l’association Futuribles International.



[1]. Keller Fabienne, Les Nouvelles Menaces des maladies infectieuses émergentes, Paris : Sénat, rapport d’information n° 638, 2012.

[2]. Conférence TED donnée par Bill Gates, à Vancouver, en mars 2015. URL : https://www.youtube.com/watch?v=6Af6b_wyiwI. Consulté le 6 avril 2020.

[3]. Menachery Vineet D. et alii, « A SARS-like Cluster of Circulating Bat Coronaviruses Shows Potential for Human Emergence », Nature Medicine, vol. 21, novembre 2015, p. 1508-1513.

[4]. Propos tirés du « Grand Entretien », Les Échos, 3-4 avril 2020.

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