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Savoirs et institutions : qui croire ? Que croire ?

Chapitre 6 du Rapport Vigie 2023

Les démocraties occidentales entretiennent depuis toujours une relation ambivalente avec le savoir, la vérité et les institutions. Le régime démocratique repose en effet sur un socle de valeurs communes ou consensuelles, telles que l’accès à l’éducation, la liberté d’expression et la libre circulation de l’information. Ces valeurs constituent des préalables nécessaires au débat et à la délibération, permettant d’aboutir à des décisions collectives, soutenues par la majorité et acceptables par les minorités.

Mais il n’existe pas de monopole de la vérité et du savoir dans une démocratie : par essence, ils peuvent être revendiqués et partagés par une grande diversité d’acteurs, même si des garants et des modalités de validation peuvent être instaurés [1]. La reconnaissance d’une vérité ou d’un discours dominant est donc toujours temporaire et le résultat de discussions voire de négociations entre les producteurs de connaissances (chercheurs, experts…), les responsables politiques, les citoyens, mais aussi les associations et les entreprises, qui participent à ces discours. De fait, cette diversité d’acteurs et de points de vue conduit moins souvent à des consensus qu’à la persistance de compromis, de controverses, voire de conflits. En conséquence, le rapport au savoir et à la vérité des sociétés occidentales est traditionnellement régulé par des institutions, qui sont les garants de leur production, de leur transmission et de leur qualité (écoles, instituts de recherche, ministères…).

Mais, depuis un siècle, les individus ont progressivement cherché à se libérer de ces institutions et des savoirs imposés. La massification et l’élévation du niveau d’éducation sont allées de pair avec une profonde crise de défiance des citoyens envers ces institutions et les acteurs qui les représentent. Ainsi, au sein de l’Union européenne, en 2022, seules 4 personnes sur 10 font confiance à leur gouvernement, à la police, aux médias et aux réseaux sociaux.

En réponse, les individus diversifient de plus en plus leurs canaux et modalités d’accès au savoir. Mais, de fait, l’augmentation exponentielle des flux d’information disponible et la dérégulation du marché de la connaissance ont pour corollaires une concentration des acteurs et des contenus, et une difficulté pour les individus à hiérarchiser et trier les informations.

En conséquence, la période actuelle signerait, selon certains analystes, l’entrée dans l’ère de la post-vérité, caractérisée par le fait que l’opinion personnelle, l’idéologie, l’émotion, la croyance l’emportent sur la réalité des faits.

Cette post-vérité constitue un défi pour les démocraties, car elle génère une tension permanente entre la libre expression de la pluralité des opinions, et l’émergence d’un relativisme permanent selon lequel toutes les idées et les opinions se valent, même lorsqu’elles ne sont pas étayées. Cette période est aussi marquée par le retour de discours alternatifs sur le savoir et la vérité : théories du complot, pseudosciences, mouvements religieux…

Ce relativisme permanent est-il la contrepartie inévitable de la désinstitutionnalisation des savoirs ? Les sociétés occidentales pourront-elles à l’avenir maintenir un socle de valeurs suffisamment partagées sur la notion même de connaissance, pour garantir leur cohésion ? Quels impacts le développement du relativisme et de la post-vérité pourrait-il avoir sur les régimes politiques ?

  1. Voir par exemple Rosenfeld Sophia, Democracy and Truth: A Short History, Philadelphie : University of Pennsylvania Press, 2018.
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