Revue

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Bilan d'une expérience prospective

Schéma général d’aménagement de la France, « Bilan d’une expérience prospective », TRP, 71, mars 1977, 141 p.

Les travaux réalisés pour la Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale (DATAR) sur la France de l’an 2000 constituent l’expérience originelle de notre équipe en matière de prospective. Aussi il n’est pas étonnant de trouver une part importante du volume de ces travaux, consacrée à définir – à expérimenter plutôt qu’à valider – une méthodologie que l’on a appelée « méthode des scénarios ». Cette méthodologie était tout à fait originale à l’époque si l’on se réfère à ce qu’il en était alors des principaux travaux de prospective contemporains, principalement anglo-saxons.

Aussi ces travaux présentent-ils aujourd’hui, pour nous, un moment privilégié et déterminant de toute notre activité prospective, dans la mesure où la méthode construite est encore la nôtre à ce jour, quoique naturellement modulée ou adaptée en fonction des objets d’étude. C’est pourquoi, dans ce bilan méthodologique, un retour sur cet enfantement doit tenir une place privilégiée. Sommesnous toujours prisonniers de nos langes, traînons-nous inconsciemment ou non avec nous des maladies, tares de naissance ? Pouvons-nous dire aujourd’hui dans quelle mesure nous avons fait éclater ou transformé nos éléments méthodologiques originels à travers nos expériences ultérieures ?

Avec dix ans de recul, notre regard sur le statut de la prospective, notre implication dans la pratique prospective ont passablement évolué, tant sur le plan proprement technique que sur les plans englobant scientifique et théorique. Au pragmatisme et au technicisme premiers qui faisaient de la prospective « un état d’esprit et un mode de raisonnement » visant à objectiver la « connaissance de rouages de notre société et de son évolution », se sont ajoutées, voire substituées des interrogations plus fondamentales d’ordre théorique et épistémologique. Si bien qu’aujourd’hui bon nombre de questions que pose la démarche prospective ne nous paraissent plus ressortir de problèmes de techniques, d’instruments et de procédures opératoires, mais en amont, de questions théoriques largement ouvertes.

Aussi le bilan de ces premiers travaux a une couleur dominante : celle de la critique portée à un certain technicisme qui identifie les instruments opératoires avec la réalité étudiée, qui fait du montage méthodologique, l’expression du mouvement réel hypothétique. Ceci va de pair avec un certain empirisme car les catégories – plus opérationnelles que conceptuelles – sont créées à partir de la technique d’approche du réel et non à partir du réel lu selon une interprétation théorique unitaire commandant les concepts opératoires. Cette critique est sans doute excessive : sous-jacents à la démarche opératoire, on sent bien en filigrane quelques présupposés ou référents théoriques mais ceux-ci resteront souterrains, sollicités plus opportunément que systématiquement. Si, néanmoins, il nous semble bon d’insister sur cette déviation techniciste, c’est parce qu’elle est assez communément partagée, nous semble-t-il, par de nombreuses équipes de prospective, d’une part chez les Anglo-saxons, d’autre part chez les équipes travaillant pour le secteur privé, où le caractère technique de la prospective domine généralement. A ce titre, notre autocritique a une portée plus générale que celle qui nous affecte directement.