Revue

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Arabofuturs

Science-fiction et nouveaux imaginaires

Compte-rendu d’événement

Avec l’exposition « Arabofuturs », l’Institut du monde arabe (Paris) ouvre, jusqu’au 27 octobre 2024, ses espaces à une réflexion sur la science-fiction et les nouveaux imaginaires du monde arabe et de ses diasporas.

« Arabofuturs. Science-fiction et nouveaux imaginaires », exposition d’art contemporain, Paris : Institut du monde arabe, 23 avril-27 octobre 2024.

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Par le biais du design et de la fiction spéculative, ces œuvres interrogent le présent, ses représentations, pour inviter à explorer des futurs alternatifs et « irréels », en rupture avec les futurs « programmés », c’est-à-dire ceux prolongeant les récits et rapports de force actuellement dominants. Les thématiques interrogées par ces futurs émancipateurs sont, entre autres, la mondialisation et la modernité, l’écologie face à l’anthropocène, les migrations, le rapport au genre et la décolonisation.

Une variété de médias produits par 18 artistes sont présentés dans cette exposition : photographie, peinture, (jeu) vidéo, sculpture, art déco… On garde en tête trois œuvres de cette visite, mais chacun pourra en retenir d’autres selon sa sensibilité [1] :

  • La série photographique « The Desert of the Unreal » de Sophia Al-Maria et Fatima Al-Qadiri. Elle s’inscrit dans le courant du « futurisme du Golfe », un champ esthétique et théorique formulé par Sophia Al-Maria et Fatima Al-Qadiri en 2012. Ces photographies questionnent la modernisation rapide de la région du Golfe, sous les modes de l’hypertechnologie et du matérialisme, conduisant à une architecture urbaine standardisée. Ces transformations sont appréhendées comme une forme de dystopie déjà à l’œuvre dans le présent. Les tensions entre cette modernisation consumériste, la culture traditionnelle et les normes culturelles répressives restent toutefois peu abordées dans les œuvres exposées [2].

Au premier plan, « Birth of a Place » (Zahrah Al-Ghamdi, 2024) ; à l’arrière-plan « The Desert of the Unreal » (Sophia Al-Maria et Fatima Al-Qadiri, 2012) – photo Antoine Le Bec

  • Le court-métrage 2ZDZ, de l’artiste française Sara Sadik (2019), nous invite dans une simulation permettant de découvrir la « Zetla Zone », un quartier interdit d’accès à tout étranger en 2035. Par une analyse anthropologique ironique, elle décrit un environnement où les codes des quartiers populaires sont retournés, tout comme les stigmates associés aux quartiers en proie au trafic de drogue. Une communauté de choufs (guetteurs) vit en autosuffisance dans cette oasis séparée du reste du monde par un mur de gravier et de béton imbibé de haschich, leur environnement irrigué par une eau mélangeant des emblématiques sodas consommés dans ces quartiers (Caprisun, Tropico). Dans ce futur, assis sur la classique chaise de camping, les habitants se réapproprient les clichés associés au délaissement par l’État et aux violences policières. Drôle et interpellant, ce film illustre également certains écueils moins réussis du design fiction, tant sur la forme (un design futuriste rudimentaire) que sur le fond (un futur caricatural non vraisemblable à un horizon de 10 ans).
  • Enfin, une réflexion sur le rôle du mythe dans la formation de l’Histoire et de l’identité nationale et culturelle, à travers le film In the Future, They Ate from the Finest Porcelain de Larissa Sansour et Søren Lind (2015). Dans un monde futuriste, un groupe de résistants d’une civilisation menacée d’extinction enfouit dans le sous-sol des morceaux de porcelaine appartenant à une civilisation fictive. Ce film interroge la politisation potentielle de l’archéologie, les liens entre passé, présent et futur, les récits individuels et collectifs, le rapport à la mémoire et à la résistance. Il fait référence à la politisation de l’Histoire en Israël et Palestine, lui donnant une résonance d’autant plus forte à l’heure des massacres en cours à Gaza.

Capture du court-métrage In the Future, They Ate from the Finest Porcelain de Larissa Sansour et Søren Lind, 2015 Arabofutur

Capture du court-métrage In the Future, They Ate from the Finest Porcelain de Larissa Sansour et Søren Lind, 2015.

Cette exposition sur la science-fiction et les imaginaires témoigne de l’importance croissante des États du monde arabe, et particulièrement de ceux du Golfe, dans les future studies.

Avant le 15 septembre, le visiteur pourra profiter de son passage pour faire un détour par l’exposition « Étienne Dinet, passions algériennes », remarquable collection d’œuvres du peintre et lithographe français, dont les œuvres sur l’Algérie coloniale portent un regard critique sur le regard orientaliste de certains de ses confrères de l’époque. Une manière de prolonger la réflexion sur l’imbrication des temporalités — passé, présent et futur — dans les représentations et réalités vécues.

  1. Le catalogue de l’exposition est ouvert à la vente sur le site de l’Institut du monde arabe.

  2. Pour plus d’informations sur ce sujet, voir notamment cet article de Dazed.

#Art #Culture #Fiction #Pays arabes #Photographie #Science-fiction