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Après l’hyperconsommation, le minimalisme ?

En 2016, le responsable du développement durable d’Ikea annonçait que les pays occidentaux avaient probablement atteint le peak stuff, ou « pic d’objets », par analogie avec le pic de pétrole [1]. Donc la société de consommation, reposant sur la croissance continue de la consommation matérielle et le renouvellement fréquent des biens, aurait peut-être atteint ses limites. Cette hypothèse avait déjà été évoquée par le chercheur britannique Chris Goodall et a donné lieu à une étude prospective de Futuribles [2]. Néanmoins, elle ne se confirme (pour l’instant) pas dans les évolutions de la consommation matérielle des pays occidentaux, qui continue à croître régulièrement.

Pourtant, depuis la crise économique de 2008, se diffusent des discours et des pratiques de remise en cause de la société de consommation, notamment au sein des classes aisées. Des consommateurs affichent ainsi un nouvel idéal de vie : le minimalisme. L’objectif est de se débarrasser de la quasi-totalité des biens de consommation courante, pour ne conserver que le strict minimum : quelques vêtements et, bien sûr, au moins un smartphone et un ordinateur portable. L’alimentation est recentrée sur des produits frais et non transformés, les plus extrémistes se passant même de réfrigérateur, considéré comme un symbole de la malbouffe et du gaspillage [3]. Les différents produits d’entretien pour la maison sont remplacés par du vinaigre blanc, et les cosmétiques sophistiqués par des ingrédients de base astucieusement mélangés.

Version moderne de la simplicité (ou sobriété volontaire), le minimalisme a récemment été popularisé au Japon, notamment par le blogueur Fumio Sasaki, et aux États-Unis par le blogueur Joshua Becker. Celui-ci identifie 10 raisons à l’essor du minimalisme, parmi lesquelles des causes financières, la préoccupation croissante des individus pour les impacts environnementaux et sociaux de la société de consommation, mais aussi la polyvalence croissante des smartphones et des ordinateurs, qui remplacent toujours plus d’objets du quotidien et, enfin, la remise en cause de l’hyperconsommation comme source d’épanouissement [4].

Le mouvement s’affiche notamment sur les réseaux sociaux : sur Instagram, près de huit millions de photos sont accompagnées du hashtag #minimalism, accolé à des décorations intérieures, des styles vestimentaires, des micrologements, mais aussi des paysages.

Le minimalisme se retrouve aussi dans certains restaurants et bars des grandes capitales : mobilier en bois brut, murs nus, briques apparentes, etc. Ce phénomène a été baptisé airspace par le journaliste américain Kyle Chayka (du New York Times), avec l’idée que ce nouveau design renie toutes les spécificités culturelles nationales et locales [5].

Bien que très minoritaire, le mouvement minimaliste ne peut que frapper tant il est symbolique du mal-être croissant qu’inspire la société de consommation à certains individus. En ligne, les personnes affirmant être adeptes du minimalisme mettent en avant la liberté et la sérénité que cela leur procure, alors qu’elles associent au contraire la consommation à l’angoisse et à la perte de contrôle. La consommation frénétique, irréfléchie, est dénoncée comme une maladie honteuse, une addiction dont il faudrait se soigner à tout prix. Ces nouveaux mouvements semblent donc répondre au besoin de réassurance de certains individus, ce que la société de consommation ne semble plus en mesure de leur apporter. Au contraire, cette dernière est désormais rendue responsable de tous les maux.

Kyle Chayka attribue l’engouement pour ce mode de vie à une « gueule de bois » de la société américaine causée par les excès de la société de consommation et le toujours plus. Le minimalisme apparaîtrait désormais aux plus riches comme une salutaire cure d’assainissement, mais aussi comme un nouveau luxe à revendiquer. Il parle « d’excès de moins » et constate que désormais, aux États-Unis, « plus vous êtes riche, moins vous possédez [6] ».

Fanny Parise, anthropologue spécialiste de la consommation [7], parle elle de « déconsommation », qui deviendrait presque une religion pour ceux qui la pratiquent : « La déconsommation s’accompagne d’un espoir de se sentir mieux, de vivre une vie meilleure. Au travers de cette maîtrise de la consommation, les gens ont le sentiment de reprendre le contrôle sur une existence qui leur échappe, de changer le monde. Les rares objets que l’on achète ne sont plus une fin en soi mais sont envisagés comme un moyen d’atteindre un objectif social, spirituel. »

Le minimalisme préfigure-t-il une remise en cause profonde de l’hyperconsommation dans les pays occidentaux ? Rien n’est moins sûr… En effet, d’une part, la grande majorité des individus dans les pays occidentaux (et ailleurs) souhaitent continuer à consommer autant que possible. D’autre part, le minimalisme se traduit aussi par une valorisation extrême des biens qui sont considérés comme dignes d’être conservés, notamment les appareils technologiques (ordinateurs portables, smartphones dernière génération, tablettes, etc.) mais aussi les vêtements et le mobilier. La désintoxication de la société de consommation peut supposer aussi d’acheter un certain nombre de produits spécifiques (boissons « détox »…) et de recourir à des services de coaching pour apprendre à se débarrasser du superflu…

Comme l’expliquait déjà Jean Baudrillard en 1970, la société de consommation a toujours été un levier de distinction sociale. Jusqu’à récemment, les élites occidentales se distinguaient ainsi par leur accumulation illimitée de biens toujours plus coûteux. Leur distinction pourrait désormais s’affirmer aussi dans la déconsommation, comme l’explique le sociologue Dominique Desjeux [8]. Les plus aisés et les plus éduqués pourraient notamment privilégier l’immatériel et les services. Mais ils pourraient aussi mettre en avant leur capacité à choisir, parmi la multitude de biens disponibles sur le marché, ceux qui apparaissent comme les plus conformes à leurs valeurs et à leurs goûts. Les nouveaux consommateurs pourraient donc être plus sélectifs, ne plus accumuler inutilement, mais pour autant continuer à renouveler fréquemment leurs possessions, au gré des modes et de leurs envies. Et continuer à l’afficher, dans la rue ou sur les réseaux sociaux…

 


[1] Hutton Will, « If Having More No Longer Satisfies Us, Perhaps We’ve Reached ‘Peak Stuff’ », The Guardian, 31 janvier 2016. URL : https://www.theguardian.com/commentisfree/2016/jan/31/consumerism-reached-peak-stuff-search-for-happiness. Consulté le 7 novembre 2017.

[2] Désaunay Cécile et Jouvenel François (de) (sous la dir. de), Produire et consommer à l’ère de la transition écologique. Quatre scénarios pour la France à l’horizon 2030, Paris : Futuribles International, 2014. URL : https://www.futuribles.com/fr/groupes/produire-et-consommer-en-france-en-2030/. Consulté le 7 novembre 2017.

[3] Voir par exemple Cochard Marie, Notre aventure sans frigo ou presque…, Paris : Eyrolles, 2017.

[4] Becker Joshua, « 10 Reasons Why Minimalism is Growing », BecomingMinimalist, janvier 2017. URL : http://www.becomingminimalist.com/10-reasons-why-minimalism-is-growing-a-k-a-10-reasons-you-should-adopt-the-lifestyle/. Consulté le 7 novembre 2017.

[5] Chayka Kyle, « Welcome to Airspace », The Verge, 3 août 2016. URL : https://www.theverge.com/2016/8/3/12325104/airbnb-aesthetic-global-minimalism-startup-gentrification. Consulté le 7 novembre 2017.

[6] Chayka Kyle, « The Oppressive Gospel of ‘Minimalism’ », The New York Times Magazine, 26 juillet 2016. URL : http://www.nytimes.com/2016/07/31/magazine/the-oppressive-gospel-of-minimalism.html. Consulté le 7 novembre 2017.

[7] Santolaria Nicolas, « L’ère est à la société de déconsommation », Le Monde, 15 septembre 2017. URL : http://www.lemonde.fr/m-perso/article/2017/09/15/consommation-trop-c-est-trop_5186310_4497916.html. Consulté le 7 novembre 2017.

[8] Clochard Fabrice et Desjeux Dominique (sous la dir. de), Le Consommateur malin face à la crise, Paris : L’Harmattan, 2013.

#Consommation #Développement durable #Modes de vie