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Pax atomica ?

Théorie, pratique et limites de la dissuasion

Analyse de livre

en
Dans un contexte de graves tensions internationales dont l’invasion de l’Ukraine par la Russie, en février 2022, est à l’origine, le rôle de la dissuasion nucléaire est revenu à l’ordre du jour, l’utilisation de l’arme atomique ayant été évoquée notamment par Vladimir Poutine. Bruno Tertrais, directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique, en explicite les principes et pose la question : la bombe atomique permet-elle d’éviter de graves conflits ?

Tertrais Bruno, Pax atomica ? Théorie, pratique et limites de la dissuasion, Paris : Odile Jacob, janvier 2024, 208 p.

L’arme nucléaire n’a été utilisée que lors des bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki en août 1945 (après l’essai réussi en juillet 1945 au Nouveau-Mexique), suivis de la capitulation du Japon [1]. Aujourd’hui, neuf États s’en sont dotés — États-Unis, Russie, Chine, Royaume-Uni, France, Israël, Inde, Pakistan, Corée du Nord — avec des variantes de la dissuasion, l’auteur en dénombrant sept, allant de la dissuasion générale et immédiate à la forme indirecte (les menaces visant les alliés d’un État). Il rappelle, dans son premier chapitre, que la dissuasion, en particulier nucléaire, est un processus psychologique : l’utilisation d’une menace grave contre un adversaire potentiel, supposé capable de rationalité pour mesurer l’importance des dégâts auxquels il s’expose. Elle est plus un art qu’une science et « relève davantage de la partie de poker que d’une partie d’échecs ». Elle repose sur des moyens crédibles (des armes, des vecteurs, des moyens de renseignement et de commandement) et sur la volonté affirmée de l’utiliser, mais avec un flou calculé afin que l’adversaire ne puisse pas évaluer les dommages auxquels il s’expose.

L’auteur consacre trois chapitres (sur une dizaine) à la traduction opérationnelle de la dissuasion et à ses dilemmes. Celle-ci a trois objectifs : préserver son territoire d’une attaque majeure non nucléaire, éviter l’emploi de l’arme nucléaire par un adversaire lors d’un conflit, protéger ses forces nucléaires d’une attaque surprise. Elle doit éviter une escalade incontrôlée, l’utilisation de l’arme atomique comme un simple instrument de combat n’étant plus envisagée. Deux écoles s’affrontent. La première donne la priorité à la manipulation du risque associé souvent à l’idée d’une destruction mutuellement assurée, la seconde envisage de disposer d’un arsenal diversifié d’armes offensives et défensives, la stabilité de la dissuasion étant difficile à atteindre. Il existe deux types d’armes : les bombes atomiques, plus simples, fonctionnant avec la fission ; la bombe à hydrogène, plus complexe, utilisant la fusion thermonucléaire (le tritium de la bombe n’étant pas stable). L’augmentation de la précision des armes permet d’en utiliser de moindre puissance (celles de l’ordre de la mégatonne de trinitrotoluène étant rares). La détermination des cibles, la planification des armes et de leurs vecteurs (des missiles), et de leurs porteurs, sont deux étapes clefs. De nombr...