Revue

Revue

Politique du logement

L’ADEME (Agence de la transition écologique) et le CSTB (Centre scientifique et technique du bâtiment) ont conduit en 2020 une démarche de prospective intitulée « Imaginons ensemble les bâtiments de demain ». Cette réflexion a abouti à un ensemble de matériaux accessible sur le site dédié, dont quatre scénarios à l’horizon 2050 et 22 fiches variables. Ces dernières sont réactualisées et publiées, chaque mois, sous forme de Repères sur le site de Futuribles [1].

Synthèse

  • La question de la répartition des compétences entre État et collectivités territoriales est encore largement ouverte. La création des Autorités organisatrices de l’habitat soulève des questions quant à leur portée. Le débat sur les règles et la fiscalité des résidences secondaires et des logements touristiques a fait émerger la question d’une politique du logement adaptée à ces zones.
  • En ce qui concerne les aides financières au logement, on a atteint un point bas quant à leur part dans le produit intérieur brut. Elles sont de 41 milliards d’euros en 2023. Les aides aux producteurs de logements neufs s’orientent à la baisse, notamment via l’arrêt du dispositif Pinel et le recentrage du prêt à taux zéro sur certaines cibles. À l’opposé, les aides à la rénovation s’orientent à la hausse.
  • La crise énergétique a conduit à instaurer des aides exceptionnelles aux consommateurs (bouclier tarifaire…) d’environ 60 milliards d’euros sur deux ans, ce qui met en évidence une tension entre politique réactive (limitation du prix de l’énergie) et politique proactive (soutien à la rénovation).
  • Des réflexions émergent sur la fiscalité du logement, notamment sur une remise à jour des valeurs foncières et sur un transfert de la fiscalité de l’acquisition vers la détention.
  • On ne constate pas d’inflexion majeure de la politique du logement en faveur des plus démunis.
  • Ces dernières années ont également vu émerger des tensions nouvelles potentielles entre objectifs sociaux et environnementaux. Si les réflexions actuelles sur la sobriété foncière et immobilière mettent en évidence le gisement immense de logements disponibles dans le bâti existant, ce dernier sera-t-il réellement exploité afin de mieux répartir les surfaces de logements entre les Français ? Ou la pression à la limitation de la construction conduira-t-elle à exacerber les inégalités d’accès au logement, dans une répartition encore plus inégale des surfaces ?

Pourquoi est-ce important pour le bâtiment et l’immobilier ?

La politique du logement a un impact sur les ressources économiques des ménages et leur localisation. Elle a également un impact important à la fois sur la construction des logements et sur la rénovation du parc ; suivant son orientation, elle peut agir sur la répartition entre constructions neuves et rénovations. Elle participe à la gestion de l’obsolescence des bâtiments et au rythme des démolitions (en lien avec les politiques de rénovation urbaine et de la ville). Elle peut aussi structurer la forme, la taille et le statut des logements, ainsi que leur localisation.

Rétrospective

En 2020…

En 2020, l’analyse rétrospective que nous faisions des politiques environnementales, dans le cadre de l’étude prospective « Imaginons ensemble les bâtiments de demain », faisait apparaître les points suivants :

  • Après la Seconde Guerre mondiale, la politique du logement visait principalement à consolider l’offre de logements. C’est-à-dire, résorber la pénurie de logements par un effort de construction largement financé par l’État.
  • Depuis les années 1970, c’est l’action sur la demande de logements qui est privilégiée. L’objectif est d’assurer à chacun l’accès à un logement correspondant à ses besoins, à un coût compatible avec ses ressources, grâce aux aides à la personne.
  • L’objectif d’améliorer la qualité des logements est également au cœur de cette politique, depuis la généralisation des salles de bain jusqu’aux enjeux de performance énergétique.
  • Cette politique est de plus en plus confrontée à la diversité des territoires. L’augmentation du parc vacant dans les zones en déclin coexiste avec un déficit quantitatif dans les métropoles.
  • Elle se heurte surtout à l’accroissement du nombre de ménages démunis. La question de l’hébergement (et des solutions de logement temporaires) prend ainsi une place croissante.
  • La fiscalité immobilière actuelle introduit des distorsions sur le marché. Par exemple, en taxant la mutation (et non la détention), elle réduit la capacité à changer de logement pour l’adapter à son cycle de vie.

Mise à jour 2024

Une décentralisation au milieu du gué

Le statut incertain des Autorités organisatrices de l’habitat

La décentralisation de la politique du logement a connu des évolutions ces dernières années. La loi relative à la différenciation, décentralisation, déconcentration et simplification (3DS), adoptée en 2022, a créé le statut d’Autorité organisatrice de l’habitat (AOH). « Le statut d’Autorité organisatrice de l’habitat n’est pas automatique. Il est réservé aux intercommunalités qui en font la demande. Il est créé par arrêté du préfet de région après avis du Comité régional de l’habitat et de l’hébergement (CRHH). Pour y prétendre, les collectivités candidates doivent remplir de façon cumulative plusieurs conditions : disposer d’un plan local d’urbanisme intercommunal (PLUI) et d’un programme local de l’habitat (PLH) exécutoire, avoir signé une convention intercommunale d’attribution (CIA) et être délégataire des aides à la pierre. […] Ce statut donne à la communauté ou à la métropole plusieurs possibilités d’action : être consultée sur les zonages en matière d’investissement locatif et être signataire des conventions d’utilité sociale (CUS), qui comportent les plans stratégiques de patrimoine (PSP) des bailleurs sociaux de droit privé possédant au moins 5 % du parc de logements sociaux du territoire. L’AOH peut également orienter la reconstitution de l’offre démolie dans le cadre des projets de renouvellement urbain sur les communes déficitaires SRU [Solidarité et renouvellement urbain] membres de l’intercommunalité, mais se situant en dehors de l’unité urbaine [2]. »

De nombreuses questions se posent encore quant à la mise en œuvre de cette nouvelle autorité (seuils de population, gestion des territoires non couverts par une AOH…) et sur le transfert de ressources nécessaires aux collectivités pour qu’elles puissent assurer ces nouvelles fonctions, ce qui renvoie notamment à des questions de fiscalité locale.

Par ailleurs, à l’heure actuelle, le statut est considéré comme « une coquille vide à remplir [3] ». De fait, il « n’apporte pas réellement de compétences nouvelles, en tout cas pas dans le sens initialement souhaité [par les élus ayant voulu introduire cette disposition dans la loi 3DS]. Certes, la possibilité d’être consultée sur les zonages en matière d’investissement locatif devrait logiquement permettre à l’AOH de demander des comptes à l’État sur leur application et leurs effets sur son territoire, mais cela n’autorise pas à les modifier pour les mettre en cohérence avec les marchés locaux [4]. » De fait, les collectivités expriment plutôt le souhait de pouvoir prendre la main sur des questions d’ordre normatif : régulation à leur échelle de la location touristique de courte durée, pouvoir de modulation des zonages de la politique du logement, voire délégation et pilotage de la rénovation énergétique (MaPrimeRénov et dispositifs assimilés) [5].

La question de la répartition des compétences entre État et collectivités territoriales est donc encore largement ouverte. Cependant, l’idée, d’une part, d’une différenciation de la politique pour l’adapter aux spécificités locales et, de l’autre, d’un État qui doit rester garant d’objectifs structurants (mixité sociale, droit au logement, égalité des seuils des grands dispositifs redistributifs) ou en charge de politiques d’hébergement largement liées à une politique migratoire gérée à l’échelon national, semble faire consensus.

Des tensions entre collectivités et État autour des objectifs de la loi SRU et les Chartes aménageurs

La complexité des rapports entre collectivités et État s’est récemment illustrée sur deux sujets :

  • La mise en œuvre de la loi SRU, marquée, d’une part, par la reprise en main par la préfecture du Rhône de la délivrance des permis de construire pour sept communes ne respectant pas le taux de logements sociaux [6] et, de l’autre, la signature par 12 communes de Gironde [7] d’un contrat avec l’État permettant d’assouplir la mise en œuvre de la loi sur leur territoire.
  • La limitation de la portée des Chartes aménageurs : mises en place par certaines collectivités à destination des promoteurs, pour imposer des dispositions supplémentaires à celles des PLU locaux (notamment en ce qui concerne la qualité de la construction), ces chartes ont vu leur portée limitée par le juge à une dimension purement incitative [8].
Des débats sur les règles et la fiscalité des résidences secondaires et des logements touristiques

Dans certaines zones touristiques tendues, la compétition entre les résidences principales, les résidences secondaires et la location touristique a fait émerger la question d’une politique du logement adaptée à ces zones.

Les débats portent sur les modes de régulation de la location touristique et des résidences secondaires, et sur la fiscalité à appliquer à ces différents types d’usage des mêmes logements. Les municipalités touristiques jouent un rôle important dans ce débat où se pose avec acuité la question de la décentralisation de la décision.

Les aides financières au logement : montée en puissance structurelle de la rénovation, mobilisation conjoncturelle face à la crise énergétique

Le Compte satellite du logement 2022, le dernier actuellement publié, met en évidence les grands flux de la politique du logement. Pour une dépense nationale en logement de 581 milliards d’euros :

  • Les aides au logement représentent 41,5 milliards d’euros. Les aides au logement correspondent à l’ensemble des avantages financiers (versements et réductions de dépenses) accordés aux consommateurs ou producteurs de service de logement. Elles aident les premiers à se loger et les seconds à investir dans la construction de logements neufs, et dans l’amélioration de la qualité des logements existants. Elles sont essentiellement financées par la puissance publique (État et collectivités territoriales).
  • Les prélèvements relatifs au logement représentent 96,7 milliards d’euros. Ils sont répartis en quatre paquets :
    • une quarantaine de milliards d’euros sur les producteurs de service de logement, dont 25 milliards pour la taxe foncière ;
    • une vingtaine de milliards d’euros sur les mutations ;
    • une vingtaine de milliards d’euros sur les consommations associées au service de logement : énergie, charges, assurances… ;
    • une petite vingtaine de milliards d’euros sur l’investissement en logement : taxe d’urbanisme, TVA (taxe sur la valeur ajoutée) sur les terrains, construction, rénovation.

Graphique 1. La dépense nationale en logement

Source : Compte satellite du logement 2022, in Rapport du compte du logement 2022, ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires (Datalab), septembre 2023, p. 7.

La montée en puissance des aides à la rénovation, la baisse des aides à destination de la construction neuve

L’analyse (à la fois sur longue durée et des inflexions récentes) des aides publiques au logement met en évidence les éléments suivants.

Un point bas pour la part des aides au logement dans le PIB

La part des aides au logement dans le produit intérieur brut (PIB) a fortement crû entre 2007 et 2010. Elle baisse depuis cette date et est actuellement à un point bas. La part des aides dans les dépenses courantes de logement est en baisse depuis 25 ans alors que la part des dépenses des ménages liées au logement (logement, eau, électricité) a augmenté de manière quasi continue depuis les années 1970.

Graphique 2. Part des aides au logement dans le PIB (en %)

Source : Compte satellite du logement 2022, in Rapport du compte du logement 2022, op. cit, p. 18.

Graphique 3. Part des différents postes de consommation dans la dépense totale de consommation des ménages (en %)

Source : INSEE (Institut national de la statistique et des études économiques), Comptes nationaux, in Rapport du compte du logement 2022, op. cit, p. 15.

Graphique 4. Montant des dépenses courantes pour les logements ordinaires et poids des aides (hors locaux d’hébergement collectif)

Source : Compte satellite du logement 2022, in Rapport du compte du logement 2022, op. cit, p. 19.

Les aides aux producteurs de logements neufs s’orientent à la baisse

Si les aides aux « consommateurs » de logement ont varié relativement peu par rapport au PIB, en revanche les aides aux producteurs ont très fortement évolué à la hausse puis à la baisse. Plus récemment :

  • L’aide fiscale à l’investissement locatif pour le neuf, dont le dernier mécanisme en date est le dispositif Pinel, a été progressivement limitée. Après avoir été réservé à certaines zones, ce dernier a été limité aux logements collectifs en 2021. En 2022, les aides Pinel de base ont été abaissées pour 2023 et 2024, les aides précédentes étant maintenues dans le cadre du « Pinel + » intégrant des exigences de performances environnementales et de qualité des logements. Le gouvernement a ensuite décidé de ne pas prolonger le Pinel après 2024, arguant de son coût et de sa relative inefficacité. Le coût cumulé de ces dispositifs représentait une aide de 2,4 milliards d’euros en 2022.
  • Le prêt à taux zéro (PTZ) a été recentré sur certaines cibles. Ce crédit, accordé sous conditions de ressources pour accéder à la propriété, sera désormais réservé à l’achat d’un appartement neuf en zone tendue, ou d’un logement ancien (en zone détendue si sont réalisés des travaux de rénovation, et sur l’ensemble du territoire, selon les modalités de l’accession sociale à la propriété [BRS / bail réel solidaire, PSLA / prêt social location-accession]).

Alors qu’une crise de la production de logements est en cours, il est intéressant de noter que l’État n’a pas choisi de mettre en œuvre les aides contracycliques habituelles, et ce malgré les demandes des professionnels, car celles-ci sont présentées comme participant à l’augmentation des prix de l’immobilier. La mesure financière principale mise en place a été le rachat de stocks de logements neufs qui ne trouvaient pas preneurs sur le marché, par des acteurs dans le giron public (Action logement et CDC Habitat). L’idée que la sortie de crise passerait par une sortie de « l’addiction aux aides » et par un retour des prix de l’immobilier à des prix le rendant à nouveau accessible se fait jour chez une série d’acteurs [9].

Les aides à la rénovation s’orientent à la hausse

À titre d’illustration, les aides à la rénovation à destination des logements privés s’établissaient à 8,1 milliards d’euros en 2023, contre 4,9 milliards en 2017. Les dispositifs de type TVA à taux réduit et Éco-PTZ (qui permettent de financer à taux zéro les travaux de rénovation) sont prolongés. MaPrimeRénov’ a également été ouverte aux propriétaires bailleurs.

Graphique 5. Subventions et prêts aidés mobilisés pour la rénovation énergétique des logements privés (en milliards d’euros courants)

*Les dépenses liées à la TVA à taux réduit de 5,5 % correspondent à la diminution des recettes perçues par l’État par rapport à une TVA à 20 %.

**Les certificats d’économies d’énergie (CEE) correspondent aux CEE engagés à l’année N. Ils financent des investissements réalisés antérieurement.

***Les dépenses comprennent les aides MaPrimeRénov’, MaPrimeRénov’ Sérénité et MaPrimeRénov’ Copropriété.

Source : I4CE, Panorama des financements climat. Édition 2023, p. 44.

Un soutien exceptionnel de grande ampleur dans le cadre de la crise énergétique

La crise énergétique liée à l’invasion de l’Ukraine a conduit l’État à mettre en place un soutien important aux consommateurs d’énergie, en particulier dans le secteur des logements.

Ces aides, qui n’ont pas vocation à devenir pérennes, concernent, pour le logement :

  • le bouclier tarifaire électrique (financé par l’État auprès des producteurs) ;
  • le bouclier tarifaire gaz (financé par l’État auprès des producteurs) ;
  • la minoration de la TICFE / taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (correspondant à une baisse de recette fiscale) ;
  • l’élargissement de l’ARENH / accès régulé à l’électricité nucléaire historique (financé par EDF).

Le rapport de la Commission des finances du Sénat [10] évalue le total des aides potentielles sur la période 2021-2023 à environ 85 milliards d’euros, dont environ 60 milliards d’euros pour le logement. Ce montant est à comparer aux 41 milliards d’euros annuels d’aide au logement et, plus particulièrement, aux 8 milliards consacrés aux aides à la rénovation énergétique. Il met en évidence une tension entre politique réactive et politique proactive.

Graphique 6. Coût prévisionnel des principaux dispositifs mis en œuvre dans le cadre de la crise des prix de l’énergie depuis 2021 (en milliards d’euros)

Source : Commission des finances du Sénat, dans la synthèse du rapport du Sénat L’Usine à gaz des aides énergie, p. 3.

Signal faible : des réflexions émergentes sur les évolutions de la fiscalité du logement

Des réflexions sur une fiscalité du logement plus adaptée au contexte actuel ont été récemment portées par le Conseil des prélèvement obligatoires (CPO) dans un rapport publié en 2023 [11]. Ce dernier met notamment en avant l’idée d’une réforme profonde de la fiscalité du logement s’appuyant sur une remise à jour des valeurs foncières et sur un transfert de la fiscalité de l’acquisition vers la détention. Ceci permettrait une fluidification du marché (et donc une meilleure utilisation du parc), une meilleure stabilité des ressources fiscales des collectivités et plus de justice, dans la mesure où la taxe foncière actuelle est antiredistributive. Cette réflexion prend place dans un contexte où les collectivités territoriales, qui ont très largement profité de l’augmentation du prix des logements et du nombre de transactions, sont confrontées, avec la crise de la production et la diminution des mutations, à une baisse très forte des droits de mutation à titre onéreux.

Graphique 7. Enjeux financiers de la réforme proposée de la fiscalité du logement

N.B. : en mettant en œuvre les recommandations du présent rapport, à rendement budgétaire constant et à comportements des acteurs inchangés.
Source : Pour une fiscalité du logement plus cohérente, CPO, décembre 2023, p. 114.

Pas d’inflexion majeure de la politique du logement en faveur des plus démunis

Les évolutions récentes en ce qui concerne le ciblage des ménages les plus démunis sont :

  • La poursuite de la mise en œuvre de la réforme des aides personnelles au logement et la RLS (réduction de loyer de solidarité) de 2018 [12] : cette dernière a eu un impact, d’une part, sur les allocataires et, de l’autre, sur les organismes de logement social. Concernant les allocataires, il serait nécessaire de documenter la manière dont la modification du mode de calcul de l’allocation logement (qui prend désormais en compte les revenus des 12 derniers mois glissants du bénéficiaire, et non plus les revenus de l’avant-dernière année) a eu un impact sur les jeunes actifs. Du côté des organismes de logement social, la réduction de loyer de solidarité a entraîné la ponction de 1,3 milliard d’euros de loyers en 2021, après 1,25 milliard d’euros en 2020, 890 millions en 2019 et 800 millions en 2018 [13].
  • La loi 3DS pérennise au-delà de 2025 les objectifs de construction de logements sociaux des communes soumises à la loi Solidarité et renouvellement urbain (SRU). Celles-ci devront continuer à disposer d’au moins 20 % ou 25 % de logements sociaux. Les annonces récentes sur l’introduction des logements intermédiaires dans les objectifs SRU [14] semblent néanmoins dessiner une évolution vers une part de logements sociaux devenant résiduelle.

Entré en vigueur en 2007, le droit au logement opposable (DALO) modifie le cadre de mise en œuvre du droit au logement, en le faisant passer d’une obligation de moyens à une obligation de résultats. Il désigne l’État comme le garant du droit au logement. Sa mise en œuvre a fait l’objet de plusieurs bilans et évaluations depuis 2022, qui rappellent qu’il s’agit d’un droit encore peu effectif, surtout dans des zones tendues comme Paris et l’Île-de-France [15].

Graphique 8. Nombre de ménages reconnus prioritaires au titre du DALO et logés chaque année (2008-2020)

Source : « Droit au logement opposable : quelle application réelle du DALO ? », Vie publique, 21 juillet 2022.

L’émergence de tensions entre objectifs sociaux et environnementaux de la politique du logement

Les dernières années ont également été marquées par l’émergence de tensions entre objectifs sociaux et environnementaux, autour notamment des enjeux de sobriété foncière.

Si la question du chiffrage du besoin en logements n’est pas nouvelle, la question environnementale vient la revisiter en y introduisant une dimension nouvelle. Comment penser une politique du logement qui permette à chacun de se loger, mais sans augmenter de manière systématique la taille du parc ? Plus profondément, dans une perspective d’économie du donut [16], la question posée par la sobriété porte sur la manière de gérer, d’une part, l’accès au logement pour tous (plancher social), et, de l’autre, le non-dépassement des limites environnementales (plafond environnemental). Il s’agit de réintroduire la notion de limite (planétaire, ici) dans un débat qui la méconnaissait auparavant. Et donc de réfléchir aux moyens de mieux répartir les ressources (ici, les surfaces de bâtiment) pour ne pas avoir à augmenter le niveau de prélèvement sur les ressources naturelles. Cela explique la mise en avant, par certains observateurs, de la sous-occupation chronique du parc de logements et des inégalités de répartition de ce parc ente groupes sociaux et générations [17], qui cohabite dans le parc avec un surpeuplement chronique, régulièrement mis en lumière par la Fondation Abbé Pierre [18].

Le logement est déjà à l’heure actuelle le creuset des inégalités sociales. En le confrontant à la nécessité d’investissements lourds et à celle d’internaliser des limites planétaires (réduire l’artificialisation pour préserver la biodiversité, réduire les consommations d’électricité pour assurer la transition énergétique d’autres secteurs…), la transition écologique renforce le danger de voir se creuser les inégalités dans le logement.

Aussi, la question se pose des conséquences sociales de la mise en œuvre la sobriété foncière. Si les réflexions actuelles sur la sobriété foncière et immobilière mettent en évidence le gisement immense de logements disponibles dans le bâti existant, ce dernier sera-t-il réellement exploité afin de mieux répartir les surfaces de logements entre les Français ? Ou la pression à la limitation de la construction conduira-t-elle à exacerber les inégalités d’accès au logement, dans une répartition encore plus inégale des surfaces

Quelles hypothèses à 2050 ?

L’analyse menée en 2020 nous avait amenés à identifier deux questions clefs conduisant à trois grandes hypothèses sur l’évolution de la politique du logement :

  • Incertitude 1 : quel ciblage de la politique du logement ? Continuera-t-elle à se focaliser de plus en plus sur les plus démunis en allant, à l’extrême, se fondre dans un revenu universel ? Ou poursuivra-t-elle plusieurs objectifs (sociaux, mais également de qualité des logements et de logement des travailleurs…) ?
  • Incertitude 2 : quelle fiscalité immobilière ? Restera-t-on dans une fiscalité très favorable aux propriétaires occupants ou ira-t-on vers une fiscalité visant à fluidifier le marché immobilier ?

Les évolutions récentes sur le ciblage de la politique du logement mettent en évidence une érosion des aides au neuf et une montée en puissance des aides à la rénovation, associée néanmoins à une mobilisation très forte d’aides conjoncturelles pour limiter la hausse du coût de l’énergie pour les ménages, via des subventions sur les prix de l’énergie plutôt que sur la rénovation du bâti. On ne constate pas d’inflexion majeure de la politique du logement en faveur des plus démunis, mais l’émergence de nouveaux sujets de tension entre objectifs sociaux et environnementaux de la politique du logement.

Par ailleurs, malgré l’émergence de propositions sur l’évolution de la fiscalité immobilière portées par le CPO, on ne constate pas d’évolutions d’ampleur de la fiscalité immobilière.

L’hypothèse tendancielle retenue dans la démarche « Imaginons ensemble les bâtiments de demain » début 2022, à savoir « Tous azimuts », reste donc l’hypothèse tendancielle.

Schéma synthétique

*Hypothèse tendancielle.

  1. Ce repère a été préparé avec le concours de Jean-Claude Driant.

  2. Delpech Claire, « Décentralisation du logement : quel rôle pour l’Autorité organisatrice de l’habitat (AOH) ? », Politique du logement / Analyses et débats, 29 mars 2023.

  3. Raitière Élodie, « Rennes métropole devient autorité organisatrice de l’habitat, une “coquille vide” à remplir pour certains », AEF Info, 20 octobre 2022.

  4. Ibidem.

  5. « Autorité organisatrice de l’habitat : où en est-on ? », InterCommunalités de France, 7 avril 2023.

  6. « Logement social : sept communes du Rhône ne peuvent plus octroyer de permis de construire », Le Moniteur, 2 janvier 2024.

  7. Dupont Orianne, « Gironde : assouplissement de la loi SRU pour 12 communes », Le Moniteur, 9 février 2024.

  8. Laffitte Pierre, « Urbanisme : pour faire la ville, des cahiers de prescriptions valent mieux que des chartes », Le Moniteur, 29 septembre 2023 ; et Richard David, « Les chartes d’urbanisme : un marqueur des limites de l’urbanisme réglementaire ? », Politique du logement / Analyses et débats, 1er décembre 2023.

  9. Dicharry Elsa, « Logement : Emmanuel Macron invité à se pencher sur une “bombe économique et sociale” », Les Échos, 15 mai 2023.

  10. Lavarde Christine (rapp.), Contrôle budgétaire sur les dispositifs de soutien aux consommateurs d’énergie : l’usine à gaz des aides énergie, Paris : Sénat, rapport d’information n° 779 (2022-2023), 27 juin 2023.

  11. Pour une fiscalité du logement plus cohérente, CPO, décembre 2023.

  12. Introduite par la Loi de finances 2018, la RLS consiste en une remise sur le loyer acquitté par le locataire de façon à compenser la baisse d’APL (aide personnalisée au logement) prévue par la même Loi de finances.

  13. Perspectives. L’étude sur le logement social. Édition 2023, Banque des territoires, 2023.

  14. Gless Étienne et Lacas Florent,« Choc pour le Logement, simplification TPE/PME, loi SRU : les annonces de G.Attal », BatiActu, 30 janvier 2024.

  15. Le Droit au logement opposable. Une priorité à restaurer, Cour des comptes, janvier 2022 ; et 15 ans après la loi DALO, un nécessaire rappel à la loi. Bilan du droit au logement opposable, Haut Comité pour le droit au logement, mai 2022.

  16. Le donut, en anglais Doughnut model ou Doughnut Economics, est un cadre visuel pour la durabilité de l’économie — présenté sous forme de beignet — combinant le concept de limites planétaires avec celui, complémentaire, de frontières sociales. Ce modèle, présenté par Kate Raworth, propose de considérer la performance d’une économie par la mesure dans laquelle les besoins des gens sont satisfaits sans dépasser le plafond écologique de la Terre.

  17. Bihouix Philippe, Jeantet Sophie et Selva Clémence (de), La Ville stationnaire. Comment mettre fin à l’étalement urbain ?, Arles : Actes Sud (Domaine du possible), octobre 2022 ; et Grisot Sylvain, Redirection urbaine. Enquête dans la fabrique des territoires résilients, Rennes : Apogée, 2023.

  18. 29e Rapport sur l’état du mal-logement en France 2024, Fondation Abbé Pierre, 2024.

#Collectivités territoriales #Économie foncière #Fiscalité #France #Habitat #Législation #Logement #Politique de l’environnement #Politique sociale #Politiques publiques