Revue

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Sécurité économique : deux visions

Analyse croisée de rapports du Sénat et de la Commission européenne

Analyse de rapport

Le Sénat et la Commission européenne ont diffusé de manière concomitante deux documents qui traitent de sécurité économique. Le sujet est d’actualité : la période est malheureusement riche en conflits, qu’ils soient militaires, numériques (cybercriminalité) ou économiques ; le besoin de sécurité devient d’autant plus important. Avant de présenter ces travaux, il est utile de rappeler comment le concept de sécurité économique (et plus largement d’intelligence économique) s’est développé. Et après en avoir examiné la teneur, nous soulignerons les convergences et les divergences entre ces deux initiatives du Sénat et de la Commission européenne.

Lienemann Marie-Noëlle et Lemoyne Jean-Baptiste, Anticiper, adapter, influencer : l’intelligence économique comme outil de reconquête de notre souveraineté, Paris : Sénat, rapport d’information n° 872, 12 juillet 2023, 101 p. ; et « Mémo sur la sécurité économique européenne », Commission européenne, 24 janvier 2024.

Brève histoire de l’intelligence économique en France

L’objectif de l’intelligence économique est d’optimiser la gestion des informations dans les organisations. Cela passe par des techniques de veille, d’influence et enfin de sécurité. Cette promotion de la sécurité peut être elle-même déclinée sous un angle informationnel (par exemple pour protéger les informations dans une organisation) ou économique (protéger les entreprises importantes pour une économie).

L’expression « l’intelligence économique » est parfois remplacée par l’expression « veille stratégique », voire réduite au simple mot « veille » ou à l’acronyme IE. L’IE est un outil au service de l’innovation et de la prospective.

Même si les entreprises font depuis toujours de la veille (technologique, marketing, concurrentielle, commerciale ou autres), le concept s’est structuré en France dans les années 1990. Il y a gagné une visibilité, des défenseurs, des hauts fonctionnaires, des formations, des cabinets de conseil, bref un écosystème structuré.

Le domaine a connu des périodes fastes (notamment quand Alain Juillet était Haut Responsable à l’intelligence économique) et des périodes maigres. Actuellement, le sujet revient sur le devant de la scène, et pas uniquement en France. La crise Covid, les tensions sur le gaz, le protectionnisme ouvert des États-Unis : tous ces événements ont révélé la dépendance stratégique de l’Europe et un manque patent de souveraineté. Mais il ne faudrait pas croire qu’il y a consensus et unité au sein de l’Europe : ainsi le grand public en France prend lentement conscience que l’allié allemand a sciemment torpillé la filière industrielle française de production d’électricité. C’est dans ce contexte tracé à coups de serpe que le Sénat et la Commission européenne ont publié leurs travaux.

Les travaux du Sénat et de la Commission

Le Sénat avait déjà mené des travaux sur la souveraineté et sur les influences étrangères. La Commission des affaires économiques du Sénat a décidé récemment de créer une mission d’information portant sur l’organisation de l’intelligence économique en France. Au terme de leurs travaux, les rapporteurs [1] ont formulé 23 propositions qui peuvent être regroupées en quatre axes majeurs :

  • Se doter d’une stratégie nationale d’intelligence économique.
  • Assurer une gouvernance pérenne et soutenue de l’intelligence économique en France, autour d’un Secrétariat général à l’intelligence économique.
  • Mobiliser davantage les réseaux territoriaux.
  • Valoriser l’intelligence économique en France, en massifiant la formation et la sensibilisation.

Cela permettrait de faire réémerger la discipline et de lui donner une visibilité dans les organisations.