Revue

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Le bras long du travail. Conditions de travail et comportements électoraux

Analyse de rapport

Les travaux de Julia Cagé et Thomas Piketty [1] ont montré que depuis la fin des années 1990, l’abstention des milieux populaires lors des élections, en France, va fortement croissant, beaucoup plus que celle des autres catégories de la population. En cause, un sentiment d’impuissance et de dépossession pour ces catégories violemment confrontées à l’automatisation et à la délocalisation des productions industrielles. L’hypothèse complémentaire de Thomas Coutrot, dans son étude « Le bras long du travail », est que « le manque d’autonomie dans la sphère professionnelle réduit l’appétence et les ressources pour s’engager dans des activités sociales ou politiques […] et notamment pour participer aux élections » (théorie du débordement [2] de Carole Pateman).

Coutrot Thomas, « Le bras long du travail. Conditions de travail et comportements électoraux », Document de travail de l’IRES n° 01-2024, février 2024, 57 p., IRES (Institut de recherches économiques et sociales).

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Pour ce faire, l’auteur procède au rapprochement au niveau des communes des résultats des élections de 2017 (présidentielle) et de 2019 (européennes), d’une part, de ceux des enquêtes « Conditions de travail » menées par la DARES (Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques) en 2016 et 2019, d’autre part. Dans les enquêtes de la DARES, l’auteur identifie un certain nombre d’indicateurs (variables professionnelles) tels que : le travail de nuit ou tôt le matin, les contraintes physiques ou de rythme, l’intensité du travail, le soutien dont le travailleur peut bénéficier, l’insécurité de l’emploi, les conflits éthiques (par rapport à l’environnement), etc. Dans un autre registre, et c’est là un point essentiel étant donné l’hypothèse de travail de l’auteur, il accorde également un intérêt particulier à des variables en lien avec l’autonomie et la consultation des travailleurs avant une décision prise par l’entreprise. L’autonomie recouvre, par exemple, des facteurs tels que la capacité à organiser son propre travail, à développer ses aptitudes professionnelles, à pouvoir ne pas suivre strictement les consignes et à ne pas faire un travail répétitif. Concernant la consultation, il s’agit notamment de la possibilité d’aborder collectivement les questions relatives au travail au sein de l’entreprise, et de bénéficier d’une consultation régulière des travailleurs et de leurs représentants, notamment en termes d’organisation du travail.

Les données individuelles des un peu moins de 20 000 travailleurs ayant participé aux deux études DARES sont alors appariées aux résultats électoraux ...