Revue

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Travailleur (mais) pauvre

Inégalités et lutte contre la pauvreté laborieuse

Analyse de livre

Au tournant du millénaire, tout comme on a (re)découvert les « enfants pauvres », on a (re)découvert les « travailleurs pauvres ». Les notions (et pas les problèmes) nous viennent des États-Unis et du Royaume-Uni. On a d’ailleurs, au début, parlé en France des working poors. Le plus simple a ensuite été de traduire l’expression.

Cette Gilbert, Travailleur (mais) pauvre. Inégalités et lutte contre la pauvreté laborieuse, Louvain-la-Neuve : De Boeck Supérieur, février 2024, 208 p.

Il est donc apparu relativement récemment dans l’expertise et le débat publics que l’activité n’était pas nécessairement — à supposer qu’elle l’ait vraiment été intégralement un jour — une protection contre la pauvreté. Depuis, s’est développé tout un ensemble de travaux savants, de propositions, de prises de positions politiques et d’innovations en faveur et en direction des travailleurs pauvres. Ceux-ci ne constituent pas, pour la protection sociale, un problème paramétrique parmi d’autres, mais un défi majeur. S’il faut se garder d’en exagérer l’ampleur, il n’en reste pas moins que le phénomène met en question le contenu, les orientations et la cohérence globale de la protection sociale.

Mais de quoi et de qui parle-t-on ? Quelle est l’ampleur du phénomène ? Quelles sont les réponses en termes de politique publique ? Quelles innovations envisager ? Voici les excellentes questions que traite Gilbert Cette dans un essai synthétique et didactique. Recourant à un plan dichotomique élégant, il se penche, d’abord, sur les travailleurs pauvres (définitions, caractéristiques, mobilité sociale), puis il traite de la lutte contre la pauvreté des travailleurs (principes de justice, prestations sociales, salaire minimum).

Ancien président du Groupe d’experts sur le SMIC (salaire minimum interprofessionnel de croissance) et aujourd’hui président du Conseil d’orientation des retraites (COR), l’auteur compte parmi les orfèvres de l’horlogerie des mécanismes socio-fiscaux. Son ouvrage vient à point nommé quand le chômage en France a connu une baisse significative (jusqu’à 7 % des actifs) tandis que la pauvreté reste, elle, stable (autour de 14 % de la population générale). La pauvreté laborieuse, mesurée selon la méthode la plus classique (sous un seuil de pauvreté à 60 % de la médiane des niveaux de vie), concerne 2,1 millions de personnes en 2019 (soit 8 % des actifs). Parmi les actifs, 5 % des salariés mais 40 % des chômeurs sont pauvres. À l’échelle européenne, la France se situe plutôt favorablement, sauf pour ce qui relève des salariés à temps partiel (15 % de pauvres). Que dire fac...