Revue

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Projets pharaoniques et fonctionnement du cerveau

En 2014, la Commission européenne lançait le programme Human Brain Project, avec un budget annoncé d’un milliard d’euros sur 10 ans. Projet phare de la Commission, il a mobilisé plus de 500 chercheurs de 250 institutions appartenant à 19 pays. C’est le premier projet de biologie de cette taille lancé par l’Europe. S’attaquer au fonctionnement du cerveau était aussi l’objectif du programme BRAIN [Brain Research through Advancing Innovative Neurotechnologies] Initiative, lancé à la même époque par le président Obama aux États-Unis.

La connaissance du cerveau est particulièrement complexe : 200 milliards de cellules, cellules gliales et neurones, ces derniers établissant en moyenne 1 000 contacts synaptiques entre eux. Passer de l’organisation microscopique du cerveau aux impacts sur les comportements est difficilement concevable. Les opposants au projet citaient la formule de Leibniz : « Si on pouvait entrer dans le cerveau comme on entre dans un moulin, on verrait des parties mécaniques, mais on ne serait pas capable d’observer les pensées. » Et pourtant, les progrès des neurosciences sont appréciables : le stockage des souvenirs, le mécanisme de la perception visuelle, des mécanismes longtemps inaccessibles, sont maintenant compris dans leurs principes.

Le programme européen, son ambition et ses résultats

En 2014, le porteur du Human Brain Project, Henry Markram, professeur à l’École polytechnique fédérale de Lausanne, affirmait que, d’ici 10 ans, le cerveau humain pourrait être modélisé sur un ordinateur. Le programme américain se montrait moins ambitieux, soutenant le développement de technologies innovantes. Il faut aussi noter qu’au cours de la décennie écoulée, d’autres projets de grande taille ont été ouverts, au Japon, en Chine, en Corée du Sud, en Australie.

Le Human Brain Project est arrivé à son terme, après 600 millions d’euros d’investissements et plus de 2 500 travaux publiés. Le départ a été difficile, la communauté étant hétérogène et sans objectif suffisamment défini. Selon Henry Markram, il fallait décrire la structure et les propriétés électriques de chaque neurone, le fonctionnement devant émerger de ces descriptions. Après un changement de gouvernance, une meilleure cohérence a permis d’obtenir des résultats qui ont été concrétisés sur une plate-forme, EBRAINS, mise à la disposition de l’ensemble des chercheurs.

Le premier résultat important est l’établissement d’un atlas détaillé du cerveau humain. Les neurosciences tendent à localiser les différentes fonctions du cerveau dans des aires situées à la surface, dans le cortex. Jusqu’à une date récente, cette localisation s’appuyait sur les travaux d’un anatomiste allemand, Korbinian Brodmann, publiés en 1909 et établis grâce à la dissection d’un hémisphère d’un seul cerveau. Le nouveau résultat a été obtenu par des équipes allemandes travaillant sur une vingtaine de cerveaux. Ce sont plus de 250 aires avec des structures différentes (au lieu de 47) qui ont été décrites en trois dimensions et à plusieurs échelles, allant des images de la résonance magnétique jusqu’à des données moléculaires sur les récepteurs des neurorécepteurs et les gènes exprimés. L’abondance des données a permis de tenir compte des variations d’un individu à l’autre, en donnant à chaque point une probabilité d’être dans une aire donnée, ce qui améliore la définition des limites des aires. L’atlas est compatible avec des données sur les connexions entre les aires ou des données génétiques développées par le programme américain. Outre son intérêt fondamental, ce résult...