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L’Innovation, mais pour quoi faire ?

Essai sur un mythe économique, social et managérial

Analyse de livre

Depuis plusieurs années, la promotion de l’innovation est un impératif des politiques publiques et des stratégies économiques et Franck Aggeri, professeur de management à l’École des mines-PSL (Paris sciences & lettres), s’interroge dans ce livre sur les motivations de ce qui est devenu une véritable « religion moderne ».

Aggeri Franck, L’Innovation, mais pour quoi faire ? Essai sur un mythe économique, social et managérial, Paris : Seuil, mars 2023, 256 p.

Une culture de l’innovation

Dans la première partie du livre, l’auteur explicite les étapes de la formation d’une culture de l’innovation. Tout n’a pas commencé avec les start-ups de la Silicon Valley et il rappelle qu’au XIXe siècle, des mécanismes institutionnels — état de droit, protection des droits de propriété, droit des brevets et du commerce… — permirent aux entrepreneurs d’innover en s’appuyant sur le progrès technique. Aux États-Unis, Thomas Edison a été le personnage emblématique d’une stratégie industrielle fondée sur des innovations ainsi que la recherche et développement (R&D) ; l’industrie chimique allemande des colorants synthétiques a joué un rôle clef dans les années 1870-1880 dans la naissance de la recherche industrielle.

Au début du XXe siècle, le terme d’innovation était peu utilisé, mais avec le taylorisme on évoquait plus souvent « l’organisation scientifique du travail ». L’économiste autrichien Joseph Schumpeter proposa, en 1912, dans sa Théorie de l’évolution économique, que la croissance économique soit fondée sur l’innovation technique et managériale, le fruit du projet d’un entrepreneur. Toutefois, il n’a pas perçu le rôle de catalyseur qu’allaient jouer les politiques publiques de R&D après la Seconde Guerre mondiale, pendant laquelle la recherche scientifique avait permis le développement du radar et la mise au point de l’arme atomique.

C’est alors que furent créés le CEA (Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives) en France et la NSF (National Science Foundation) aux États-Unis, et que s’imposa un modèle « linéaire » de l’innovation : l’étape finale d’un processus initié par la recherche fondamentale, poursuivi par la recherche appliquée et une phase de développement. Ce modèle fit long feu car il était simplificateur et s’appliquait difficilement aux petites entreprises et aux start-ups. Un autre modèle, celui des clusters, connut une certaine vogue ; il mettait en évidence le rôle que jouent des plates-formes urbaines où existent des entreprises, des universités et des laboratoires de recherche publique et privée — la Silicon Valley et Grenoble en France en sont des exemples.