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UberUsés. Le capitalisme racial de plateforme

Quelle est la différence entre les chauffeurs Uber selon qu’ils exercent à Paris, Londres ou Montréal ? La réponse est : pratiquement aucune, ils sont tous ou presque issus de l’immigration et endurent au quotidien une expérience de travail frustrante dans laquelle ils sont censés êtres leur propre patron, sans pour autant avoir d’autre choix que de se soumettre aux règles imposées par la plate-forme. Encore faut-il arriver à le démontrer, et c’est à cela que s’est attelée Sophie Bernard dans cet ouvrage.

Bernard Sophie, UberUsés. Le capitalisme racial de plateforme, Paris : Presses universitaires de France, mai 2023, 300 p.

Professeur de sociologie à l’université Paris-Dauphine PSL (Paris sciences & lettres), l’autrice délivre ici une très bonne illustration de l’intérêt de sa discipline et de ses outils méthodologiques pour mettre en évidence les conséquences sociales de phénomènes économiques. Le matériau de base est le fruit d’une enquête qualitative basée sur la conduite de 109 entretiens avec des chauffeurs Uber dans les trois villes, enrichie d’extraits de propos tenus sur les réseaux sociaux et de captures d’écran de l’application elle-même.

S’imposer en assumant « la stratégie du chaos »

Dans une première partie historique, l’autrice revient sur les conditions d’implantation d’Uber sur chacun des marchés étudiés en 2012 et 2013. Dans les trois cas, l’entreprise va user de la même stratégie, avec une capacité d’adaptation au contexte réglementaire local encadrant le transport de personnes. L’objectif premier est de recruter rapidement un nombre important de chauffeurs indépendants pour lancer l’activité. À Paris, elle va aller puiser sa main-d’œuvre dans le secteur de la grande remise qui offrait des services de voituriers haut de gamme. À Londres, c’est dans le vivier des minicabs qu’elle va la trouver, il s’agit là d’un système de voituriers plutôt bas de gamme complémentaire des black cabs, les taxis londoniens traditionnels. À Montréal, l’entreprise présente son activité comme étant un service de covoiturage. À chaque fois, l’entreprise va déstabiliser le secteur avec les mêmes méthodes :

  • Grâce à ses levées de fonds colossales (20 milliards de dollars US [1]), elle crée artificiellement un marché en surpayant des chauffeurs pour les attirer et en sous-facturant les courses aux clients. Ce fonctionnement à perte lui permet d’atteindre rapidement une position quasi monopolistique sur le marché du transport de personnes vers lequel elle attire de nouveaux clients.
  • Elle se présente comme une en...