Revue

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Répartition de la population en France

L’ADEME (Agence de la transition écologique) et le CSTB (Centre scientifique et technique du bâtiment) ont conduit en 2020 une démarche de prospective intitulée « Imaginons ensemble les bâtiments de demain ». Cette réflexion a abouti à un ensemble de matériaux accessible sur le site dédié, dont quatre scénarios à l’horizon 2050 et 22 fiches variables. Ces dernières sont réactualisées et publiées, chaque mois, sous forme de Repères sur le site de Futuribles [1].

Synthèse

  • La crise sanitaire provoquée par la Covid-19 s’est traduite, en France, par de nombreuses annonces de ruptures plus ou moins radicales, telles que la généralisation du télétravail ou encore la fin des métropoles, qui seraient brutalement vidées par un puissant phénomène d’exode urbain.
  • Les analyses récentes conduisent à relativiser l’impact de la crise sanitaire sur la répartition de la population à l’échelle nationale. Les tendances préalables au déclenchement de la crise (croissance de l’emploi métropolitain, déplacement vers la façade ouest, développement des grandes villes de province et déplacement vers le périurbain) sont en revanche confortées.
  • Si la crise sanitaire n’a pas conduit à un exode urbain massif, certains mouvements de population vers les zones rurales ou les centres urbains aux marchés immobiliers moins tendus sont observés.
  • Le développement du télétravail a tendance à faire croître le périmètre d’action des métropoles et à élargir le cercle de la périurbanisation.
  • Les flux de population demeurent modestes en valeur absolue, mais ils peuvent avoir un impact local fort sur des marchés immobiliers de taille limitée, la mobilité des capitaux étant très supérieure à celle des personnes.

Pourquoi est-ce important pour le bâtiment et l’immobilier ?

La répartition des lieux de vie et des activités (économiques et non économiques) sur le territoire national a un impact important sur les secteurs du bâtiment et de l’immobilier. Notamment, elle a des incidences majeures sur le niveau de tension du marché du logement par territoire, sur le besoin en bâtiments non résidentiels (bureaux, commerces, services publics…). Par ricochet, elle a ainsi des impacts sur les prix et la capacité des ménages et des entreprises à accéder à des bâtiments répondant à leurs attentes.

Rétrospective

Analyse faite en 2020…

En 2020, l’analyse rétrospective que nous faisions de cette répartition dans le cadre de l’étude prospective Imaginons ensemble les bâtiments de demain faisait apparaître les points suivants à partir des données disponibles :

  • La France, qui s’est urbanisée rapidement pendant le XXe siècle, est désormais principalement urbaine. C’est le lien à la ville qui définit maintenant le type de développement des territoires (qu’ils soient ruraux, périurbains ou métropolitains).
  • Le phénomène marquant des dernières décennies est la métropolisation. C’est un phénomène mondial lié à la concentration de l’activité économique dans le cœur des grandes villes.
  • L’Île-de-France a un régime de développement spécifique, qui combine forte attractivité économique et touristique, et qui s’adapte bien à la tertiarisation de l’économie.
  • Les espaces non reliés à une métropole ou à un maillage de villes dynamiques se fragilisent et perdent de la population (villes petites ou moyennes ayant subi la déprise agricole ou industrielle).
  • Dans certains territoires (notamment les littoraux), le dynamisme des activités présentielles (activités mises en œuvre localement pour la production de biens et de services visant la satisfaction des besoins de personnes présentes dans la zone, qu’elles soient résidentes ou touristes) est plus fort que celui de l’activité productive dédiée à fournir d’autres territoires.

Mise à jour 2023

L’analyse des données rendues disponibles depuis 2020 permet de dégager plusieurs évolutions significatives.

La pandémie a renforcé des dynamiques préexistantes

La pandémie semble avoir accentué des mouvements de population existants plus qu’elle ne les a profondément modifiés. La mesure de ces impacts demandera du temps, les données n’étant encore que très partiellement disponibles. Des travaux ont été conduits, notamment à partir des recherches immobilières des internautes, afin de mieux comprendre l’impact de la crise sur les aspirations et les comportements des ménages [2]. Ils tendent à montrer que l’exode urbain parfois annoncé ne semble pas s’être produit. La tendance reste au maintien de l’influence des pôles urbains dans les recherches immobilières des Français. Ainsi, les phénomènes à l’œuvre par le passé continuent, à savoir :

  • La métropolisation des emplois. Bien que certains emplois tertiaires puissent au moins partiellement être exercés à distance du fait du développement du haut débit et de l’ouverture des entreprises au télétravail, les métropoles restent le lieu dominant de décision et de création des emplois de l’économie productive. Le dernier tableau de La France et ses territoires, publié par l’INSEE en 2021, rappelle la puissance de ces tendances longues et confirme leur renforcement : « La population et surtout l’emploi sont de plus en plus concentrés dans les grandes agglomérations. Les aires d’attraction des villes de 700 000 habitants ou plus (y compris Paris) rassemblent 43 % de l’emploi en 2017, soit 1,4 point de plus en 10 ans. Ces aires concentrent 38,9 % de la population (+ 0,8 point en 10 ans). Inversement, le poids des aires d’attraction en dessous de 700 000 habitants recule, de même que celui des communes hors attraction des villes [3]. »

Évolution de la population entre 2007 et 2017 dans les pôles et les couronnes des aires d’attraction des villes

N.B. : pour les communes hors attraction des villes, le taux est calculé par département.

Lecture : entre 2007 et 2017, la population a augmenté de 0,5 % par an dans le pôle de l’aire de Paris et de 0,6 % dans les communes de la couronne.

Champ : France hors Mayotte, limites territoriales communales en vigueur au 1ᵉʳ janvier 2020.

Source : INSEE, recensements de la population de 2007 et 2017. Tiré de « Dynamisme démographique des aires d’attraction des villes », INSEE Références, 29 avril 2021.

  • On constate cependant une « perte d’importance relative des pôles urbains parisien et lyonnais, alors que le pôle marseillais conserve son importance et devient de fait celui qui suscite le plus d’intérêt des internautes » (CODA Stratégies [4]). Certains auteurs parlent même de mégapolisation, dans la mesure où les flux de population suivent « le tracé des TGV et des autoroutes » et les flux de population sont donc largement conditionnés par l’accès aux métropoles.
  • Le report des pôles urbains les plus tendus vers des pôles urbains moins tendus, à commencer par les villes moyennes, qui confirment leur regain d’attractivité. Une prise de conscience de cet enjeu de travail en réseau entre les métropoles et un réseau de villes moyennes se développe chez un nombre croissant d’élus. Le développement de programmes comme « Action cœur de ville » ou « Petites villes de demain » y contribue.
  • La poursuite de la périurbanisation, alimentée par les flux sortants des pôles urbains. Depuis 2007, la croissance des couronnes des pôles dans les aires urbaines est trois fois plus forte que celle des pôles eux-mêmes.
  • Le déplacement vers la façade ouest du pays. « Les moyennes et grandes villes régionales, particulièrement situées à l’ouest, se distinguent par des hausses de prix très importantes entre 2020 et 2021 : + 13 % à Brest, + 12 % à Nantes, et jusqu’à + 19 % à Angers [5]. » Ceci entraîne des tensions dans certaines zones littorales où le nombre de résidences secondaires et l’augmentation des prix rendent le logement problématique pour les habitants à l’année. Certains voient dans ces mouvements une extension du domaine de la rente [6] permettant aux capitaux issus des métropoles de se valoriser dans des territoires plus étendus.
  • Au final, si « la croissance démographique est globalement plus forte dans les très grandes aires d’attraction des villes, près des littoraux à l’ouest et au sud, ainsi qu’en Corse [et] le long de la frontière suisse [7] », on constate également des dynamiques locales différenciées qui permettent à certains territoires particuliers de mieux tirer leur épingle du jeu.

La crise sanitaire a cependant pu fragiliser certains territoires, sans qu’il soit possible de dire si cela sera durable : la région toulousaine et l’aéronautique, les régions très touristiques du littoral méditerranéen, et la région parisienne, victime de la chute du tourisme d’affaires et venant de l’étranger [8].

Des flux modestes vers le rural ou les zones urbaines moins tendues

Des flux semblent s’être accentués pour des raisons à la fois conjoncturelles (post-Covid et recherche d’espace) et structurelles (hausse des prix immobiliers, départs en retraite…) :

  • vers le rural,
  • des zones tendues vers les zones moins tendues, qu’elles soient rurales ou urbaines.

Ne disposant pas à ce jour des données statistiques permettant de chiffrer ces flux, ceux-ci sont approchés notamment par différentes études. La réalité d’un « exode urbain [9] » parfois annoncé a été analysée et semble recouvrir de petits flux, de l’ordre de 14 % de l’ensemble des projections géographiques des Français telles qu’elles sont visibles dans l’étude des annonces consultées sur le site Leboncoin [10].

Si, dans l’absolu, les flux de personnes restent modestes, ils peuvent localement changer les équilibres du marché immobilier et conduire à des hausses de prix très importantes, rendues possibles par l’étroitesse des marchés et les capacités financières élevées de certains arrivants.

Ces hausses de prix entraînent alors l’éloignement d’une partie de la population dans des zones moins tendues et pose la question de la distance au travail de ceux qui ne peuvent pas télétravailler.

Quels sont les profils des personnes qui envisagent de quitter les grandes villes, et quelles sont leurs motivations ?

Marianne Bléhaut, Alexandre Coulondre et Claire Juillard résument ici les principales conclusions de leur étude.

La recherche a pris deux directions complémentaires : l’exploitation des données de navigation des utilisateurs du site Leboncoin et la réalisation d’une enquête par questionnaires auprès de ces utilisateurs. Elle développe pour la première fois une analyse globale des projections géographiques des Français dans le cadre de leurs projets immobiliers, et propose par ailleurs une caractérisation sociodémographique des urbains se projetant dans les territoires ruraux. L’ensemble des travaux porte sur la période comprise entre 2019 (un an avant le début de la crise) et 2021 (un an après).

Notre enquête aboutit à un portrait exploratoire des urbains en quête d’un logement à la campagne qui détonne avec les discours médiatiques. D’abord, ces internautes ne sont pas forcément des télétravailleurs issus des catégories supérieures. Parmi eux, les professions intermédiaires sont surreprésentées et leurs projets résidentiels ne sont ni plus ni moins souvent liés à un projet professionnel que les autres internautes qui consultent des annonces de logements. En revanche, ils sont moins souvent liés à leur situation familiale et plus souvent à une stratégie d’anticipation de la retraite.

Ensuite, une autre catégorie socioprofessionnelle est surreprésentée parmi les candidats à l’exode urbain : les personnes sans activité autres que les retraités (principalement des chômeurs). L’exode urbain pourrait donc avoir des motivations économiques, pour une partie au moins de la population : le déménagement se ferait pour réduire le budget logement. Ce résultat est d’autant plus important que la part du budget des ménages consacrée aux dépenses de logement a connu une forte augmentation au cours des dernières décennies. Dans un contexte de forte inflation, il pourrait être amené à s’amplifier et s’étendre aux personnes en emploi ayant des revenus modestes, contraintes de quitter les zones les plus tendues pour trouver un logement plus abordable.

Mais encore, si les intentions des répondants pris dans leur ensemble sont majoritairement tournées vers l’achat d’une résidence principale, les projets des urbains en quête d’un logement à la campagne le sont moins souvent. Ils visent plus fréquemment un investissement locatif ou l’achat d’un logement pour l’avenir. De ce fait, les urbains en quête d’un logement à la campagne sont en proportion plus élevée que les autres catégories parmi les internautes qui cherchent un logement à acheter plutôt qu’à louer. Ce dernier résultat, potentiellement contradictoire avec le précédent, souligne la multiplicité des motifs d’exode urbain.

Enfin, les candidats à l’exode urbain opèrent rarement un lien explicite entre leur projet d’achat et la crise sanitaire. C’est également le cas de l’ensemble des Français en quête d’un logement sur les pages immobilières du site Leboncoin. Ceux-là citent la crise comme facteur incitatif de leur projet immobilier dans un cas sur dix seulement.

Quelles hypothèses à 2050 ?

L’analyse menée en 2020 nous avait amenés à identifier deux questions clefs conduisant à trois grandes hypothèses sur la répartition de la population à l’échelle nationale.

  • Misera-t-on sur un petit nombre de territoires d’excellence, ou fera-t-on fructifier les atouts de chaque territoire ? Si cette question reste d’actualité, il semble important de souligner quelques incertitudes nouvelles, et notamment :
    • La fragilisation de certains territoires « d’excellence » au regard de la crise comme, notamment, la métropole toulousaine pénalisée par les difficultés de l’aéronautique.
    • Des incertitudes quant à l’impact sur l’emploi des crises et / ou politiques actuelles (industries intensives en énergie affaiblies par la hausse des prix de l’énergie, filière automobile perturbée par la fin annoncée de la vente des véhicules à moteur thermique…), et donc sur les territoires.
    • Quelques signaux faibles d’une « relocalisation de l’anthropocène », fruit de stratégies individuelles plutôt que de choix collectifs d’organisation du territoire. « Loin des espaces attractifs prisés par les cadres et les retraités, on a pu voir dans certains arrière-pays enclavés une accélération des flux invisibles de la métropolisation. C’est par exemple le cas des Cévennes, qui ont vu silencieusement débarquer des populations nomades pauvres, rejetées des métropoles (vie en camion, habitat léger), des éco-anxieux […] mais aussi de nouveaux profils : les populations convaincues de l’imminence d’une crise sociale insoluble dans les grandes villes [11]. »
  • Misera-t-on sur la coopération ou sur la concurrence entre territoires ? La possibilité d’exercer les emplois métropolitains à une distance plus importante ouverte par le télétravail, et les inflexions récentes (quoique de faible ampleur) vers des villes moyennes, pourraient conduire à une diffusion de l’impact des métropoles sur un périmètre plus vaste. Selon la manière dont le phénomène est géré, ceci pourrait se traduire soit par une « mégapolisation » (le pouvoir restant concentré dans les métropoles), soit par une évolution vers des métropoles distribuées qui géreraient, de manière concertée avec une armature de villes petites ou moyennes, les enjeux liés au logement, à la mobilité, ou aux espaces naturels induits par les nouveaux flux de population.

L’hypothèse tendancielle retenue dans la démarche « Imaginons ensemble les bâtiments de demain » en 2021, à savoir le renforcement des métropoles et le décrochage territorial, ne semble cependant pas remise en cause par les évolutions les plus récentes. En effet, les flux de population concernés par les inflexions nées de la crise sont, à ce stade, peu importants en volume.

Néanmoins, ce poids des métropoles en matière de population pourrait stagner et, en parallèle, d’autres territoires, notamment des villes moyennes et certaines petites villes, pourraient connaître un dynamisme démographique durable.

Par ailleurs, les évolutions démographiques pourraient continuer à être très contrastées selon les régions et les territoires.

Schéma synthétique

Cette note est l’actualisation de la fiche n° 2, accessible sur ce lien. Inscrivez-vous sur ce formulaire pour recevoir les prochaines mises à jour des notes.

  1. Les auteurs de cette note ont bénéficié du concours de Marianne Bléhaut (CRÉDOC, Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie), Alexandre Coulondre (LATTS, Laboratoire techniques, territoires et société), Claire Juillard (OGGI Conseil) et Marc-Olivier Padis (Terra Nova).

  2. Près de trois ans après le début de la crise sanitaire, Marianne Bléhaut, Alexandre Coulondre et Claire Juillard ont par exemple publié, en partenariat avec le site Leboncoin, les résultats d’un travail de recherche conduit pour le POPSU et le Réseau rural français sur ces questions : Exode urbain : un mythe, des réalités, Paris : POPSU (Plate-forme d’observation des projets et stratégies urbaines) / Réseau rural français, 2023. URL : https://popsu.archi.fr/programme/exode-urbain. Consulté le 16 mars 2023.

  3. INSEE (Institut national de la statistique et des études économiques), La France et ses territoires. Édition 2021, Paris : INSEE, 2022. URL : https://www.insee.fr/fr/statistiques/5040030. Consulté le 16 mars 2023.

  4. CODA Stratégies, Le Logement et les bâtiments professionnels face à la crise sanitaire, Paris : ADEME, 2022 (étude confidentielle).

  5. Ibidem.

  6. Delage Aurélie et Rousseau Max, « L’exode urbain, extension du domaine de la rente », Metropolitiques, 4 juillet 2022. URL : https://metropolitiques.eu/L-exode-urbain-extension-du-domaine-de-la-rente.html . Consulté le 16 mars 2023.

  7. INSEE, La France et ses territoires, op. cit.

  8. CODA Stratégies, op. cit.

  9. « L’exode urbain ? Petits flux, grands effets – Les mobilités résidentielles à l’ère (post-)Covid », PUCA (Plan urbanisme construction architecture), Réseau rural français, programme de recherche, 2023. URL : https://www.urbanisme-puca.gouv.fr/l-exode-urbain-petits-flux-grands-effets-les-a2388.html. Consulté le 16 mars 2023.

  10. « Exode urbain : quelles réalités ? », La Revue du Réseau rural français, n° 20, décembre 2021. URL : https://www.reseaurural.fr/sites/default/files/documents/fichiers/2022-01/2021_rrf_revue_n20_web_03012022.pdf. Consulté le 16 mars 2023.

  11. Delage Aurélie et Rousseau Max, op. cit.

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