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Feu le rêve américain ?

Cet article fait partie de la revue Futuribles n° 439, nov.-déc. 2020

Au sommaire de ce numéro figurent trois sujets majeurs : les États-Unis, la transition écologique et l’impact de la crise de la Covid-19 dans les pays en développement. À la veille des élections présidentielles aux États-Unis, nous consacrons à ce pays un dossier spécial, non sur le déclin de son leadership international et sa politique dévastatrice sur la scène géopolitique mondiale, mais essentiellement axé sur sa dynamique interne.

William H. Frey nous livre (p. 35) les premiers enseignements du recensement américain de la population réalisé en 2020. Outre la diminution relative de la population blanche (passée de 80 % en 1980 à 60 % en 2019) et son vieillissement, le fait le plus marquant est peut-être que 4 Américains sur 10 s’identifient à un groupe racial ou ethnique, ceux-là mêmes qui assurent pour une large part le dynamisme démographique du pays. Pour les lecteurs francophones peu habitués à de telles statistiques ethniques, cette présentation de l’évolution démographique des États-Unis peut surprendre : la culture du melting-pot semble céder la place à une diversification croissante de la population américaine et à la montée de revendications, sinon de révoltes et de tensions, identitaires. Michèle Tribalat, dans une note de lecture, explique comment ce phénomène s’est développé depuis plus de 50 ans et menace désormais la cohésion sociale du pays.

Quant aux classes moyennes aux États-Unis, auxquelles devait être promis l’accès à l’American way of life, Julien Damon montre qu’elles sont victimes d’une dualisation grandissante, entre d’une part une classe de ménages aisés travaillant dans le secteur de la finance et du numérique, attachée à ses privilèges, portée à l’homogamie et indifférente aux autres ; et d’autre part une classe de ménages majoritairement peu qualifiés, travaillant dans un secteur de subsistance, victimes de la réduction des services sociaux et demain, sans doute, de la disparition des emplois de service. La description qui nous est ici livrée est très éloignée du « rêve américain » ; elle révèle tout au contraire le creusement des inégalités et les rigidités d’une société profondément engourdie et menacée d’éclatement. L’élection présidentielle sera-t-elle de nature à inverser cette dynamique de déclin, et l’Union européenne alors capable d’imposer son leadership sur l’Occident comme l’ambitionne sa présidente Ursula von der Leyen ?

Nous avons par ailleurs, tout au long de l’année, publié une série d’articles sur le changement climatique et l’énergie en soulignant que, au-delà du débat très en vogue sur « le monde d’avant » et « le monde d’après », la question était de savoir comment amorcer dès aujourd’hui l’indispensable transition écologique, sans exiger de nos contemporains qu’ils renoncent à vivre mieux. À en juger par le témoignage de Pierre-Frédéric Ténière-Buchot (p. 53) sur 50 ans de combat au profit d’une ressource aussi vitale que l’eau, l’on pourrait craindre que, malgré les efforts déployés, les progrès demeurent fort en deçà des besoins pourtant essentiels. Mais les obstacles à une réelle transition tiennent peut-être à un leurre collectif, à la croyance que notre bien-être dépend exclusivement de la consommation de biens et de services marchands. Il nous faut changer de paradigme, affirme ainsi Jean Haëntjens, passer « de la société de consommation aux sociétés de satisfactions » (p. 5).

L’expérience du confinement dicté par l’épidémie de Covid-19 a permis à certains « d’augmenter leur niveau de satisfaction en réduisant leurs consommations. Ils ont remplacé des consommations matérielles et marchandes (rouler en voiture) par d’autres, plus naturelles et gratuites (se promener, flâner dans son jardin), plus sociales (vie de famille, solidarités de voisinage), plus culturelles (temps pour lire, écouter de la musique). » Il faut s’affranchir du mythe de la croissance et revenir aux sources du bonheur, écrit Jean Haëntjens, pour comprendre que le bien-être d’une société ne se mesure pas uniquement à l’aune monétaire, reconnaître au demeurant que « les autorités ne sont pas les seuls acteurs », qu’édicter des règles ne suffit pas, que tous les facteurs et acteurs ont en l’espèce un rôle essentiel à jouer.

Pouvons-nous pour autant nous féliciter de la crise provoquée par la Covid-19 et « le grand confinement » ? Certainement pas, affirme Louis-Charles Viossat qui, s’appuyant sur les premiers bilans dressés par diverses instances internationales, montre combien leurs conséquences risquent d’être dramatiques pour le développement humain dans les pays du Sud, particulièrement en Afrique subsaharienne et dans les pays à faible revenu. « Les progrès réalisés au cours des cinq à dix dernières années vont être effacés et l’atteinte de nombreux objectifs de développement durable fixés pour 2030 est désormais hors de portée. » Nous risquons, écrit-il, d’assister à une destruction massive d’emplois, de voir jusqu’à 100 millions de personnes frappées par l’extrême pauvreté, un terrible regain de mortalité.

#Culture. Société #Épidémies #États-Unis #Transition écologique