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Innovation “responsable” et développement durable. Produire la légitimité des OGM et de leur monde

Cet article fait partie de la revue Futuribles n° 383, mars 2012

Les organismes génétiquement modifiés (OGM) sont au cœur de controverses importantes dans le monde scientifique. Mais les enjeux vont bien au-delà, comme le montre ici Pierre-Benoit Joly : ils renvoient à des questions plus politiques telles que la vision du monde que l’on souhaite voir prévaloir à l’avenir, dans le domaine agricole mais aussi, plus largement, en matière de développement durable pour notre planète.

Rappelant d’abord comment ont évolué, au fil du temps, les régimes d’innovation dans le monde végétal, l’auteur souligne que l’on est passé de pratiques et savoir-faire traditionnels à un premier régime d’innovation reposant sur des agronomes d’État et des entreprises semencières, qui a lui-même évolué vers un régime d’innovation « moléculaire, privé et mondialisé », largement favorisé par l’autorisation, dans les années 1980, de breveter la matière vivante. Ceci a conduit à une forte concentration des marchés agronomiques autour de quelques entreprises majeures, et à une focalisation de la recherche sur quelques espèces et sur les OGM. Mais cet engagement pour les OGM a suscité de nombreuses critiques, plaçant les leaders de l’« oligopole biotech » face à une crise de légitimité. D’où les efforts produits par ces acteurs, depuis quelques années, pour légitimer, économiquement et politiquement, leur ferveur pour les OGM.

C’est à ce travail « technopolitique » de légitimation que s’intéresse, dans un second temps, Pierre-Benoit Joly. Grâce à la privatisation de l’innovation et à la mondialisation des activités, les grands groupes biotech font peu à peu prévaloir leur vision du monde, au moyen notamment d’une coproduction de la réglementation des risques inhérents aux innovations (émergence d’une soft law baissant le niveau de contrainte obligatoire des États), d’un lobbying intensif au sein des institutions publiques, de la mise en place de « communautés épistémiques » (réseaux visant à faire évoluer le droit international en leur sens)… Il montre enfin comment ces acteurs – et en particulier Monsanto qu’il étudie plus spécifiquement ici – privatisent la notion de développement durable en agriculture (via des chartes éthiques, par exemple), de manière à ce que leurs activités finissent par constituer un point de passage obligé pour y parvenir. Un travail d’enrôlement très bien décrit ici et qu’il est encore possible de contrer dès lors qu’on en a compris les rouages.

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