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La secte des Assassins. Extraits de l'ouvrage de Bernard Lewis, Les Assassins. Terrorisme politique dans l'Islam médiéval

Cet article fait partie de la revue Futuribles n° 275, mai 2002

Bernard Lewis, membre permanent de l’Institute for Advanced Study de Princeton, est l’un des plus éminents orientalistes contemporains. On lui doit de nombreux ouvrages sur l’histoire des Arabes et le monde musulman (Race et couleur en pays d’Islam. Paris : Payot, 1982 ; Comment l’Islam a découvert l’Europe. Paris : La Découverte, 1991 ; Le Monde de l’Islam. Londres : Thames et Hudson, à paraître en 2002, etc.). En publiant en 1967 Les Assassins : Une secte radicale en Islam, il entendait éclairer les questions que soulevait déjà le développement d’actions terroristes, en Occident comme en Inde ou au Pakistan, en les rapportant au modèle premier d’organisation et d’idéologie qu’offraient les tueurs au poignard du  » Vieux de la montagne  » et de ses successeurs.
Au Moyen Âge, sur plus de deux siècles, les Assassins ont assurément innové en matière d’intervention politico-religieuse : c’était introduire dans l’action politique une véritable internationale terroriste à l’échelle des  » économies-mondes  » de l’époque. Les Assassins ont été les premiers terroristes dans l’histoire, dit Bernard Lewis, au sens où, s’attaquant à l’establishment politique, militaire, administratif et religieux, ils prolongeaient le vieil idéal du tyrannicide, c’est-à-dire l’obligation religieuse de débarrasser le monde d’un chef illégitime, par le fantasme d’un renversement de la société tout entière grâce à l’action terroriste. Le sacrifice de ces combattants kamikazes n’était pas seulement conçu comme un acte de piété, il avait aussi une valeur rituelle, presque sacramentelle, inscrite dans l’espoir à la fois d’éliminer l’ennemi présenté comme le diable et de permettre au terroriste d’apparaître comme un saint accédant au paradis. À travers le Proche-Orient et l’Europe, ils ont visé souverains, vizirs, gouverneurs, officiers musulmans et chrétiens, et même théologiens dont leur chef dénonçait les accommodements avec la foi, la corruption, les privilèges et les prétentions de souveraineté sur les territoires qu’ils entendaient vouer exclusivement à leurs propres convictions religieuses.
Comment ne pas voir les similitudes avec les actions terroristes menées par Oussama ben Laden ? L’attentat au poignard (jamais le poison) correspondait à un état donné de la technologie, tout comme l’état contemporain de la technologie a suggéré le recours aux cutters, mais aussi aux avions : dans les deux cas, le sacrifice des terroristes s’appuie manifestement, au sens de l’analyse de Bernard Lewis, sur une arme  » consacrée « , et la cible symbolique des tours jumelles de New York ou le bâtiment plus symbolique encore du Pentagone renvoient à la même haine de l’establishment hégémonique du moment. Les points de ressemblance sont tels, y compris la montagne de Tora Bora qui rappelle irrésistiblement celle d’Alamût, qu’on peut se demander si ben Laden ne s’est pas directement inspiré du précédent de Hasan-i Sabbâh en lançant sa croisade contre les États-Unis, impies d’être à la fois cantonnés en Arabie et soutiens d’Israël.
Les quatre leçons que Bernard Lewis a tirées de cette histoire enfouie dans le lointain Moyen Âge s’appliquent avec la même rigueur à la nôtre : d’abord, la menace pour l’ordre en place que cette forme de terrorisme idéologique et organisé peut entraîner ; ensuite le fait que la bande à ben Laden ne constitue pas un phénomène isolé mais appartient à une longue série de mouvements messianiques, à la fois populaires et obscurs ; plus grave encore, le fait qu’elle prend à son compte  » les désirs vagues, les croyances déréglées et la rage sans but des mécontents  » en les canalisant vers une idéologie, une organisation et une discipline de type sacrificiel, sur lesquels la rationalité occidentale n’a d’autre prise qu’une répression sans merci. Doit-on donc se rassurer avec la quatrième leçon,  » peut-être, en définitive, le point le plus remarquable « , à savoir l’échec total de Hasan-i Sabbâh et de ses successeurs, comme celui de ben Laden ? Comme je l’ai

#Rétroprospective #Terrorisme